Jean-Marc Berlière mis en cause par le Comité de Vigilance contre les Usages abusifs de l’Histoire (CVUH)

Jean-Marc Berlière

Par René Fiévet.

    Je vous communique ci-dessous le texte publié le 12 novembre dernier par le Comité de Vigilance contre les Usages abusifs de l’Histoire (CVUH) à propos de notre livre Histoire d’une falsification (Paris, l’Artilleur, 2023). À la lecture de ce texte, rédigé par l’historienne Michèle Riot-Sarcey, la première réaction d’une personne sage et raisonnable pourrait être précisément de ne pas réagir, de hausser les épaules, de traiter par le mépris ces propos insultants à l’égard de Jean-Marc Berlière (« un historien révisionniste, pour qui l’autre est l’ennemi, notamment le juif, étranger par définition, » n’hésite-t-elle pas à écrire).

Je pense au contraire qu’on ne peut pas laisser passer cela sans réagir, car la limite de l’acceptable vient d’être dépassée : on qualifie maintenant Jean-Marc Berlière d’antisémite xénophobe, pour mieux dénigrer ses travaux d’historien. Car il ne faut pas s’y tromper : c’est bien lui qui est visé, et non pas ses deux comparses, Emmanuel de Chambost et moi-même, qui ne sommes  que des figurants dans ce triste et sordide règlement de comptes au sein du milieu académique français.

Il semble bien que ce règlement de comptes vient de loin, à propos d’anciennes querelles relatives à l’accès aux archives de la police. Ce qui fait que l’historien Jean-Paul Brunet, et la répression de la manifestation du 17 octobre 1961, font une apparition un peu inattendue dans cet article consacré à notre livre.  Pour servir la vérité, précisons que, contrairement à ce qui est affirmé dans ce texte, Jean-Marc Berlière n’a cessé d’œuvrer depuis les années 1980 au versement et à l’ouverture des archives policières dont, comme il est de règle, a profité TOUTE la communauté des chercheurs – la liste des bénéficiaires serait trop longue à citer –, ce dont témoigneront volontiers les archivistes.

Incidemment, je me suis un peu intéressé à ce Comité, dont je connaissais évidemment l’existence, mais sans plus. Il avait été créé à l’occasion d’une protestation contre une loi mémorielle votée par le Parlement en 2005 (loi du 23 février 2005, dont l’article 4 insistait sur les « effets positifs de la colonisation« ). Mais il ne faut pas en déduire que ce comité était défavorable aux lois mémorielles d’une manière générale. Bien au contraire, il avait manifesté son désaccord avec la fameuse pétition signée par 19 historiens de renom, publiée en décembre 2005 et intitulée « Liberté pour l’histoire« . Cette pétition s’opposait à toutes les lois mémorielles, quelles qu’elles soient, au nom de la liberté de la recherche historique. Pour le CVUH, au contraire, il y a de bonnes et de mauvaises lois mémorielles. On imagine aisément le parti pris idéologique qui accompagne une telle conception développée par des historiens professionnels.

Sans entrer dans ce débat complexe sur les rapports entre l’histoire et la mémoire, on peut au moins se poser la question suivante : quand peut-on dire qu’une vérité historique est définitivement établie, et établie à un point tel qu’elle peut être gravée dans le marbre d’une loi de la République ? Et surtout, quelle est la légitimité des historiens pour prétendre guider la politique mémorielle des pouvoirs publics ? C’est un sujet que nous abordons dans notre livre, et c’est dans ce contexte qu’il faut examiner le présent texte du CVUH : il me semble que Jean-Marc Berlière se trouve un peu dans la situation de son collègue Olivier Pétré Grenouilleau il y a une vingtaine d’années (Les Traites négrières. Essai d’histoire globale, Gallimard, Paris, 2004), quand ce dernier avait entrepris de faire l’histoire de la traite des Africains en examinant la question dans une perspective globale, bien au-delà du seul commerce transatlantique. On se souvient de la polémique qui s’était ensuivi.

Je vous communique ci-dessous la réponse que j’ai adressée au CVUH (qui n’a pas été encore publiée, et qui ne le sera probablement jamais), et immédiatement en dessous le texte du CVUH sous la signature de Michèle Riot-Sarcey.

René FIEVET                             Télécharger l’article en PDF =>  FIEVET R JM Berlière mis en cause par le CVUH Vdef

Réponse au CVUH

« Madame,

En principe, quand on est professeur émérite de l’Université française, avec toute l’ancienneté et l’expérience qui se rattache à ce titre, on s’abstient de parler de choses que l’on ne connait pas, et surtout on évite d’écrire sur le sujet. Vous devriez laisser ce « privilège » aux jeunes générations.

À l’évidence, vous ne connaissez rien à cette période de notre histoire, et vous n’avez pas lu notre livre. Votre seul objectif est de faire connaître l’existence d’un article de Laurent Joly (que vous n’avez probablement pas lu également) à des fins purement idéologiques. Rien n’est plus désolant que cet usage public de l’histoire par des historiens professionnels (et paresseux). Éric Zemmour fait exactement la même chose que vous, mais lui au moins a une excuse : il n’est pas historien, et ne prétend pas l’être.

En ce qui concerne le fond des choses, le seul qui importe du point de vue du débat historien, j’ai écrit un texte dans lequel je réponds point par point à l’article de Laurent Joly. Je l’ai communiqué à la Revue d’Histoire moderne et contemporaine, mais celle-ci a refusé de le publier. Il est toutefois disponible sur le site HSCO (Histoire scientifique et critique de l’Occupation) : https://hsco-asso.fr/ecriture-de-lhistoire-ou-recit-sur-lhistoire-a-propos-dun-article-de-laurent-joly-anatomie-dune-falsification-historique-rhmc-2023-3/

René FIEVET »

TEXTE du CVUH  https://cvuh.hypotheses.org/1549

 12 novembre 2024

Source photo : Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=59009327

 « À propos de Jean-Marc Berlière, Emmanuel de Chambost, René Fiévet, Histoire d’une falsification. Vichy et la Shoah dans l’Histoire officielle et le discours commémoratif (Paris, L’Artilleur, 2023, 325 p.), le CVUH vous recommande tout particulièrement un article de Laurent Joly,« Anatomie d’une falsification historique. Lecture d’un récent pamphlet sur Vichy et la Shoah »Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 70-3, 2023/3, p. 151-171).

La manière de lire le passé a toujours pris des formes multiples et nous le savons, l’instrumentalisation de l’histoire sert les causes les plus diverses, y compris les plus abjectes. Le retour vers le conservatisme, la nécessité d’un souverainisme voire le passage par le populisme sont toujours le signe d’un malaise qu’exprime la part de la population attachée à ses privilèges, que d’aucuns aiment à nommer nationaux.

La cause du roman national a toujours trouvé ses serviteurs, Jean-Marc Berlière est de ceux-là, comme en son temps Jean Paul Brunet le fut, ayant bénéficié d’un accès privilégié aux archives de police pour interpréter à sa mesure les massacres (dits « les événements » par euphémisme) d’octobre 1961. Du point de vue de ces historiens révisionnistes, l’autre est l’ennemi, notamment le juif, étranger par définition selon le point de vue des véritables falsificateurs. Les auteurs de l’ouvrage affirment, en effet, que les juifs étrangers furent les seules victimes de l’accord passé le 2 juillet 1942, entre l’occupant allemand et le représentant français de la collaboration René Bousquet, en préparation de la rafle du Vel d’hiv. Les juifs français auraient été protégés de la shoah par le trio Bousquet, Laval, Pétain, comme l’ont affirmé, encore récemment, certains représentants de l’extrême droite française. Avec une mauvaise foi confondante, les troijs comparses cherchent, dans cet ouvrage, à minimiser les responsabilités initiales dans la catastrophe du gouvernement de Vichy.

Jean-Marc Berlière et ses co-auteurs, habitués à interpréter les archives de police au service de la cause nationale, prennent le prétexte d’un discours d’Emmanuel Macron – mettant en cause l’antisémitisme du gouvernement de Vichy –, pour réécrire l’histoire à l’aune de leur volonté d’ôter toute responsabilité au gouvernement de la France de Vichy dans la déportation des juifs.

Faisant preuve d’une rigueur sans faille, Laurent Joly réfute chacun de leurs arguments, citant pour chaque événement contesté les historiens dont la quête et l’excellent usage des sources est largement reconnu, de Paxton à Klarsfeld, mis en cause par les auteurs falsificateurs. Il parvient ainsi à démonter l’énormité de leurs acceptions. Joly n’omet aucune référence nécessaire à sa démonstration, y compris juridique. Il pratique ainsi à un retour salutaire sur une factualité rarement située avec une telle précision. En reliant, par exemple, à juste titre, la loi du 4 octobre 1940 à celle de l’été 1942, il redonne à l’idéologie antisémite, qui préside aux décisions des représentants de Vichy, toute sa dimension ; ne serait-ce qu’en soulignant la mauvaise foi propagandiste des serviteurs de Vichy, dont aujourd’hui Éric Zemmour se fait le propagandiste, par la rafle de près de 40 000 enfants juifs, français de par la loi, sous prétexte qu’ils étaient enfants d’étrangers.

Merci à Laurent Joly. Plus que jamais aujourd’hui nous avons besoin de clarté et de lire l’histoire, sans rien omettre, y compris ce qui gêne les contemporains.

Michèle RIOT-SARCEY »

Source : cvuh (12 novembre 2024). A propos du livre Histoire d’une falsification. Vichy et la Shoah dans l’Histoire officielle et le discours commémoratif, de J.-M. Berlière, E. de Chambost et R. Fiévet. CVUH. Consulté le 24 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12nur

Ce contenu a été publié dans Démarche / Méthode, Persécution des Juifs, Publications / Conférences / Média, Vichy / Collaboration. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.