La conférence de presse de Pierre Laval du 13 décembre 1942

 

Par Michel Bergès.

Je voudrais partager avec la communauté HSCO et plus largement avec la communauté des historiens un document que j’ai découvert aux Archives du Service historique de la Défense nationale, coté GR 28 P 9 8586. Il s’agit de la transmission  au BCRA de Londres d’un compte-rendu de la conférence de presse à Vichy le 13 décembre 1942 tenue par un Pierre Laval suivi de son état-major de la Censure. Celui-ci y commémora son éviction du pouvoir fin 1940, mais dans un contexte inversé. Juste avant, le 9 novembre 1942, il s’était rendu à Berchtesgaden auprès d’Hitler, et le 19 décembre suivant à la « Taverne du Loup » en Prusse Orientale. Mais « Vichy » n’existait plus vraiment après l’ouverture d’un « Second Front » en Afrique du nord le 8 novembre, la fin de l’Armistice le 11, le sabordage de la Flotte le 27, puis l’émergence d’un « Commissariat général d’Afrique française » le 7 décembre à Alger.

Lire et télécharger l’intégralité du compte-rendu de la conférence de presse => Verbatim_Laval_13_dec_1942__GR28P98586_v3_Vdef

Ces propos du « nouveau Laval » (sic) sont confirmés dans le condensé autorisé de deux quotidiens de zone nord présentés en complément. Ils désignent nettement tous « les ennemis » de son gouvernat contrôlé : la dissidence, la résistance et les Alliés, mais aussi, pour la première fois, Laval déclame son antijudaïsme pro-hitlérien :

  • dans deux grands quotidiens de la zone Nord :

  • dans un grand quotidien de la zone Sud :

L’importance de l’événement présenté ici aux lecteurs d’HSCO se trouve enfin confirmée dans cet extrait du Journal tenu pendant les faits par un homme de confiance de Pierre Laval dans les milieux économiques, Pierre Nicolle (MB). En voici le passage concerné.

Pierre Nicolle, Cinquante mois d’Armistice. Vichy, 2 juillet 1940-26 août 1944. Journal d’un témoin, Paris, Éditions André Bonne, 1947, Tome 2, p. 76-78, décembre 1942.

« * Dimanche 13 décembre. — Le président Laval, après m’avoir demandé certains renseignements complémentaires au sujet de la note que je lui avais remise la veille, m’a annoncé la décision qu’il avait prise de procéder à la réquisition des ouvriers en zone libre pour la relève des prisonniers. Deux cent quinze mille ouvriers sont partis depuis juillet, la zone libre en a fourni six mille ; ce déséquilibre dans le sacrifice exigé de tous les Français n’est plus tolérable. La réquisition est facilitée dorénavant, les États-Unis ayant rompu les relations diplomatiques, ne peuvent plus considérer la réquisition de la main-d’œuvre française à destination de l’Allemagne comme un geste inamical.

Le Président ne m’a pas caché qu’il est absolument décidé à agir avec autorité et fermeté et prêt à balayer tous les obstacles qui se dresseront devant lui. Le Maréchal représente aujourd’hui le symbole de l’unité ; le chef du gouvernement ne craint pas la bataille et est décidé à la livrer quelle que soit l’opinion publique. Il a déjà procédé à de nombreuses mesures de police ; ce n’est qu’un commencement ; il entend porter le fer rouge dans l’administration, aussi bien dans les ministères que dans les préfectures ; il se rend compte du désir que le pays a de se sentir gouverné et du danger que représente l’anarchie grandissante. Le président Laval, en complet accord avec le Maréchal, est décidé à se maintenir au pouvoir pour barrer la route au danger communiste. Il m’a fait connaître la teneur de la correspondance échangée avec le ministre des Affaires étrangères du Reich ; il s’apprête avec calme et optimisme à se rendre en Allemagne pour rencontrer Hitler.

Au sujet de l’information et de la Propagande, il m’a affirmé que des changements étaient déjà décidés. Les questions de personnes ne doivent plus avoir l’importance que l’on y attache.

En résumé, l’impression que m’a laissée cet entretien au jour anniversaire du 13 décembre est qu’un nouveau Laval est au pouvoir.

En fin de matinée, la nouvelle se répand d’un bombardement très sérieux de la ville de Rouen.

Dans l’après-midi, le chef du gouvernement a convoqué toute la presse à une conférence importante ; celle-ci a duré plus de deux heures. […]

* Lundi 14 décembre – Ce sont les échos de la conférence de presse de l’après-midi d’hier qui font l’objet de tous les commentaires aujourd’hui à Vichy. Le président Laval a fait une impression très forte sur ses auditeurs. Il les a autorisés à lui poser toute sorte de questions.

On dit aujourd’hui que le Président est décidé, coûte que coûte, à mener à bien sa politique. Il sait quelle est seule capable de sauver le pays ; il brisera tous ceux qui voudront se dresser contre elle. Il a déjà été procédé à sept mille arrestations : des généraux, des hommes politiques, des financiers sont sous les verrous. Pucheu serait, paraît-il, en Espagne, ses amis seraient sous une étroite surveillance. Les anciens collaborateurs de l’amiral Darlan font l’objet d’enquêtes : le commandant Duvivier, l’ancien chef de la radio, est arrêté.

On peut déjà constater un effet salutaire de la conférence d’hier dans l’attitude très réservée des adversaires connus du gouvernement. Ils cherchent déjà des excuses, quand ils ne font pas leurs paquets pour quitter Vichy.

La Semaine qui vient aura pour le pays la plus grande importance suivant la réussite ou l’échec des négociations qui vont s’ouvrir en Allemagne.

Le Président quitte Vichy dans l’après-midi pour Paris. Il poursuivra sans doute son voyage. Le terrain est préparé par la lettre du Maréchal au chancelier du Reich en réponse à celle que celui-ci avait adressée le 11 novembre au chef de l’État.

L’atmosphère est toujours lourdement chargée. Le voyage du Président reste secret ; l’opinion est que, malgré la sincérité du chef du gouvernement, celui-ci se trouve aujourd’hui devant des faits qui sont loin de faciliter son entreprise.

Le Maréchal fort soucieux est très préoccupé des questions sociales. »

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Pour tout observateur objectif,  80 ans après les faits, ce document efface définitivement les arguties de défense de Laval au début de son procès pour « trahison » en octobre 1945. Là, feignant l’« homme d’État » devant des jurés aguerris, il tenta au début de présenter « sa politique » comme une manœuvre ayant « composé avec le pire pour limiter les dégâts ». Sans succès, jouant le tout-pour-le tout, il provoqua alors ses juges, dans le même style que ses dernières finasseries de l’été 1944 et sa fuite dans les voitures des SS, sa « protection » à Sigmaringen, puis son errance désespérée, rejetée même par Franco …

Ce que n’avait pas compris le politicien issu des arrière-fonds corrompus de la Troisième République, hanté par le démon du pouvoir, c’est qu’il s’était enfermé de son propre chef dans un filet tissé par l’ennemi. Dans l’euphorie de son « retour » propulsé du 18 avril 1942, il livra les Juifs de France ou réfugiés dans le pays, pour des motifs fallacieux sur le ton de l’Occupant, explicitement confiés dès août 1942 à des témoins irréfutables qui lui demandèrent pourtant des explications de vivo, dont les représentants de la Communauté juive, des Églises protestante et catholique (jusqu’au Vatican). En vain …

De surcroît, dans des rapports de bilan dressés par la SS pour la seule année 1943, sur 29 292 arrestations pour faits avérés « de résistance, d’activités communistes ou d’agissements accessoires hostiles au Reich », 22 356 furent le fait de l’ennemi, mais 6936 celui de « la Police française » (soit près de 24 %). Bilan d’une « Police nouvelle » de répression aux ordres du Laval ministre de l’Intérieur et de Bousquet, son homme lige en la matière, adoubé par son « arrêté » du 19 avril 1942 ainsi rédigé :

« Vu la loi du 15 juillet 1940 portant création d’emplois de Secrétaires Généraux, modifiée par la Loi du 16 février 1941, Arrête : Article unique : Dans la limite de ses attributions, délégation permanente et générale est donnée à M. René Bousquet, Secrétaire Général pour la Police, à l’effet de signer, au nom du Ministre Secrétaire d’État, à l’exclusion des décrets, tous actes, arrêtés ou décisions relatifs aux dites attributions. »

Dans la même liasse tirée des Archives de la DGSE et du dossier précité au SHDN concernant Laval, on découvre ce document qui révèle des faits et agissements bien dans la suite des propos tenus lors de la conférence du 13 décembre 1942, pièce d’archive qui, étrangement, est marquée par la phrase surlignée en rouge : « Ne diffuser sous aucun prétexte » émanant du service récepteur :

M. Pierre Laval ne voudrait pas abandonner son contrôle sur la police, aussi a-t-il donné des ordres pour que la répression soit accrue et que s’établissent une “collaboration” avec d’une part la Gestapo, et d’autre part les S.S., d’où la venue à Vichy de 300 SS et de 700 membres de la Gestapo.

De vastes opérations policières ont été opérées ces temps derniers, à Toulouse et à Montpellier. De nombreuses arrestations ont été faites particulièrement dans les milieux de la résistance communiste et gaulliste. Quelques documents importants ont pu être saisis par la police, particulièrement à Lyon et ont été remis à la Gestapo de cette ville. »

Surligné en rouge : « À ne diffuser sous aucun prétexte ».

Le contenu est confirmé par un autre émanant du SD nazi, rappelé par une communication d’HSCO concernant l’Affaire Jean Moulin (cf. https://hsco-asso.fr/a-propos-de-jean-moulin-prefet-de-chartres-jusquau-16-novembre-1940/),

Avec cette précision :

« Des dépositions des personnes arrêtées, du matériel récupéré et surtout des documents contenus dans 15 cartons qui, le 13 mars 1943, lors d’une intervention contre les fonctionnaires “de l’Armée Secrète” avaient été saisis à Lyon par la police française et temporairement mis à la disposition du commandement de la police de Sécurité (SD), il résulte l’aperçu général que voici … »

Ainsi, ladite opération, autorisée par l’équipe indissociable Laval-Bousquet exécutée selon des ordres donnés à la direction de la Section des Affaires politiques du Service de Police Régionale de Lyon (SRPJ), fut une de celle qui allait entraîner le démantèlement régional de « l’Armée Secrète » à cette date. Et, de là, l’arrestation de Caluire, de triste renommée, le 21 juin 1943, qui aboutit à la mort de Jean Moulin.

Michel Bergès

Télécharger ce texte de présentation en pdf => Conf. de presse P. Laval 13.12.42 Présentation du document

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