Yves Péron, un dogmatique et thuriféraire stalinien en Périgord

Photo prise à l’automne 944 sur les marches du Palais de justice de Périgueux. Yves Péron est en uniforme et portant lunettes. A sa droite, portant bandes molletières, Ranoux. Source photo : Archives de Marcel Larocque.

 

Par Jean-Jacques GILLOT

 

Selon le Maitron, dictionnaire biographique du monde ouvrier, « Yves Péron adhéra en 1931 aux Jeunesses communistes dont il devint membre du comité central […] (en 1940) Condamné par le tribunal militaire de Périgueux à cinq ans d’emprisonnement, il fut interné au camp de Mauzac d’où il parvint à s’évader en juin 1944. Il devint l’un des responsables de la Résistance en Dordogne sous le nom de lieutenant-colonel Cailloux […] élu député de Dordogne en 1946 […] Yves Péron fut secrétaire de la Fédération communiste de Dordogne de 1951 à 1976 et membre du comité central de 1964 à 1976. « 

Fin connaisseur du Périgord et du parti communiste, Jean-Jacques Gillot est allé voir de plus près comment et pourquoi ces galons de lieutenant-colonel furent si rapidement acquis par ce Breton devenu Périgourdin, beau parleur qui évolua en deuxième division de l’appareil du Parti communiste, toute sa vie, depuis l’âge de 17 ans jusqu’à sa mort. Où l’on voit qu’en Périgord comme ailleurs, il était nécessaire d’avoir des titres de résistance pour réussir une carrière politique…

Emmanuel de Chambost (membre du Bureau de l’association HSCO).

 

Péron fut l’archétype du militant communiste appliqué à la tâche et gravissant rapidement les échelons. Dans l’intérêt de sa propre personne mais aussi de son idéologie, il participa à la construction d’une version mythifiée de la Résistance. Pendant cinquante ans, après son apprentissage en Île-de-France à l’époque où Paul Bouthonnier avait été l’homme fort du bolchevisme en Périgord, son parcours fut continument celui d’un homme d’appareil comme les organisations fermées en suscitent. Jusqu’à son décès survenu en 1977, il entretint une totale dévotion envers l’image soviétique et un permanent alignement sur le système central, ne souffrant, au surplus, aucune contestation à sa propre directivité.

Un apparatchik prometteur

La partie de famille Péron restée en Bretagne se maintint toujours à l’écart du débat politique[1]. Mais Auguste Péron, né en 1885, ancien combattant de 14-18, plombier au service des eaux de la ville de Paris, était devenu adhérent communiste en 1935. Remarqué comme militant clandestin, condamné et remis aux Allemands, il décéda au camp de Buchenwald[2].

Né à Plounérin, dans les actuelles Côtes-d’Armor, le 2 août 1914, Yves-Marie Péron fut un militant précocement fiché « PR » (propagandiste révolutionnaire) par l’armée et la police. À treize ans, il était devenu apprenti chaudronnier à Montreuil-sous-Bois, dans le département de la Seine d’alors. Par la suite, il entra un temps momentanément dans une entreprise de canalisations, au n° 145 de l’avenue de Saint-Ouen, à Paris.

D’après ses notes ultérieures : « Ce n’était pas une période facile » et il encourut déjà une première poursuite judiciaire pour entrave à la liberté du travail[3]. Malgré son peu de temps dans le métier, il se décrivit comme un « ouvrier du bâtiment » tout au long de sa carrière politique.

En 1929, Péron avait pris sa carte à la CGTU – « U » comme « unifiée » mais pourtant issue de la scission de la CGT après le congrès de Tours. La scission de la CGT avait eu lieu au congrès de Lille en 1921 et la tendance communiste (CGTU) était devenue minoritaire. Deux ans plus tard, il avait adhéré aux Jeunesses communistes dont il était rapidement devenu membre du comité central[4]. Remarqué à la cellule n°45 basée au café Weiss, à Montreuil, l’historique Daniel Renoult l’avait pris sous son aile[5]. Il aurait été blessé lors des manifestations de février 1934 mais n’en suivit pas moins les cours de l’école centrale de la CGTU, puis d’un centre régional du parti thorézien. De quoi appartenir, sans être passé par l’école léniniste de Moscou, à la « commission idéologique de Paris-Est ». Responsable de la diffusion de la presse dans ce secteur, il avait été admis à des conférences de rédaction de L’Humanité et participé au congrès communiste mondial « contre la guerre et le fascisme », salle Pleyel, à Paris, en 1933[6]. On le trouva aussi à une conférence de l’Internationale ouvrière qui eut lieu à Genève deux ans plus tard[7].

Entre ces dates, Péron avait effectué son service militaire au 1er régiment du Génie, à Strasbourg. Mobilisé au grade de 2e classe à la déclaration de guerre de 1939, et même si ce fut pendant « la drôle de guerre », il écrivit par la suite avoir passé « 210 jours dans la zone de combat » en Sarre. De même, il assura avoir diffusé des documents pacifistes qui faisaient surtout l’éloge de l’URSS à l’époque des pactes germano-soviétiques[8]. Sur le motif de prosélytisme communiste, interdit depuis septembre 1939, Henri Danty, commissaire de la police urbaine de Montreuil-sous-Bois, appréhenda son concitoyen, le 7 avril 1940, pour détention de propagande prohibée  lors d’une permission[9].

Pour autant, dès juin 1940, Danty, préalablement classé « ennemi du Reich », fit partie d’un groupe de huit commissaires parisiens qui furent « interpellés immédiatement et déportés en Allemagne pendant quelques semaines ou quelques mois malgré les protestations du préfet Langeron »[10].

Les débuts d’un long périple semi-carcéral

Immédiatement incarcéré à la prison parisienne de la Santé, Péron y aurait connu le truand Jo Attia, « appris à jouer aux cartes et à préserver sa gamelle, si ce n’est plus »[11]. Sa première épouse, Isabelle Loris, lui trouva alors un avocat[12]. D’après Jacques Lagrange, elle appartenait à une famille de comédiens d’affinités communistes[13]. Mais Péron n’eut pas le temps d’être jugé. Deux mois après son incarcération, il fut précipitamment évacué vers le sud avec des centaines de détenus et leurs gardiens, sous la garde de tirailleurs ayant reçu des ordres particulièrement stricts.

Après un périple éprouvant, il retrouva son mentor Renoult au camp de Gurs (Basses-Pyrénées), à l’îlot B peuplé par de 1.121 « indésirables français » classifiés éléments « préventionnaires », largement venus d’Île de France et de Bordeaux[14]. En effet, les détenus politiques de la prison du Cherche-Midi et de la Santé avaient été transférés, via le camp des Grouës et l’ancienne verrerie de Cepoy (Loiret) avant de passer par Bourges (Cher)[15]. À cet égard, il est désormais établi qu’au cours de marches forcées, des traînards et des fuyards furent sommairement exécutés par la troupe[16].

L’écrivain communiste Léon Moussinac suivit un itinéraire comparable à celui de Péron. Par la suite, il fut son compagnon de détention à la prison militaire de Nontron. De son séjour à Gurs, il laissa son souvenir des républicains espagnols internés là : « Gurs ! Se ranime en moi le souvenir de ces lettres désespérées, de ces appels pitoyables et si dignes que j’ai longtemps reçu de la part des miliciens espagnols (…). Un nom lugubre, Gurs ! »[17]. La capacité théorique du camp béarnais s’élevait à 16.500 personnes. Il était découpé en secteurs et regroupait 400 baraques. Plus de 60.000 internés s’y succédèrent entre 1939 et 1944 et il en partit six convois de déportés juifs, souvent allemands, vers l’extermination à Auschwitz. Lire et télécharger l’article entier => Péron JJ GILLOT_v_def

[1]             Enquête des RG des Côtes-du-Nord (rapport de 9 pages, 4 février 1956, in dossier Péron, CAC Fontainebleau, cote 1980.0280).

[2]             Blanc RG (sans date)  et entretien avec Daniel Péron. Une rue de Montreuil-sous-Bois  porte le nom d’Auguste Péron au titre de « résistant ».

[3]             Brouillon dactylographié, six pages, sans date (archives de René Chouet).

[4]             Selon sa biographie de 1945, il avait adhéré au Secours rouge en 1932, aux Jeunesses communistes et à la CGTU en 1933 (arch. du comité central du PCF, Paris).

[5]             Daniel Renoult (1880-1958). « Journaliste, militant révolutionnaire, un des fondateurs du Parti communiste français. Fit partie des organismes dirigeants du Parti. Maire de Montreuil. Participa activement à la Résistance. Arrêté par les nazis [après avoir été relaxé par le tribunal militaire de Périgueux en 1940], s’évada en 1944 de la citadelle de Sisteron » (Duclos et al., p. 756). Voir aussi notice au dictionnaire biographique Maitron, 1914-1939, tome 40.

[6]          En 1932, sous l’impulsion d’Henri Barbusse et de Romain Rolland, s’était déjà tenu un congrès antifasciste et contre la guerre aux Pays-Bas. La réunion des deux lieux consécutifs a donné lieu au terme de « congrès Amsterdam-Pleyel ».

[7]             Note RG Périgueux au préfet, n° 635, 7 avril 1975 (arch. dép. Dordogne, série 1.592 W).

[8]             Notes personnelles de Péron (circa 1975, in arch. Chouet) et discours d’obsèques de Guy Besse représentant le bureau politique du PCF (6 juin 1977).

[9]             Rapport du commissaire urbain de Montreuil-sous-Bois au directeur central de la police judiciaire, 9 avril 1940 (dossier Péron, arch. préf. police Paris, cote P.7).

[10]        Luc Rudolph, Policiers rebelles (SPE Militaria, 2014, p. 31). Pour sa part, ancien membre du cabinet de Clemenceau, préfet de police de la Seine depuis mars 1934 quand il succéda à Jean Chiappe. Maintenu à son poste par les gouvernements successifs de Front populaire, Roger Langeron avait mis en place une politique publique très anticommuniste depuis sa prise de fonctions et créé les Brigades spéciales. D’abord destitué par les Allemands, il reprit son poste (dossier de personnel, arch. nat., site de Pierrefitte-sur-Seine, pièce n° 2010.0260/3).

[11]           Joseph Attia (1916-1972), repris de justice de longue date ancien des Bat d’Af, non prisonnier de guerre en 1940, est réputé avoir été résistant. Il fut déporté à Mauthausen avant de s’associer au SAC gaulliste contre l’OAS et en d’autres occasions scabreuses.

[12]           « Yves Péron, 42 rue de La Santé, Paris 14e » (lettre du 13 avril 1940 communiquée par son fils Daniel). L’incarcéré figura au registre d’écrou de la prison sous le n° 2.853 (communication de Jacky Tronel).

[13]           En 1936, le PCF produisit le film de Jean Renoir, La vie est à nous. Parmi les acteurs, il y eut Fabien Loris – de son nom de scène – au côté de dirigeants communistes dans leur propre rôle. On le retrouva, l’année suivante, dans un film de Jean-Paul Dreyfus (dit Le Chanois), Le temps des cerises et il appartint à l’ensemble théâtral  Groupe Octobre  avec Jacques Prévert.

[14]           Le site, détruit en 1946, a été réaménagé en lieu de mémoire (Natacha Thuillier, « Pierre symbolique au camp de Gurs », Sud-Ouest, 21 octobre 2005).

[15]           Ibidem supra et Claude Laharie, op.cit., pp. 150 sq. Voir aussi rapport au chef de camp de Gurs (arch. dép. Pyrénées-Atlantiques, cote M 500/12) in Tronel, Le repli de la prison militaire de Paris à Mauzac (Histoire pénitentiaire, vol. 1, ministère de la Justice, juin 2004).

[16]           Tronel, mémoire La Prison militaire de Paris autour de l’Exode (ÉHÉSS, Paris, 2007).

[17]           Cité par Claude Laharie (op.cit., p. 152). Tiré de Léon Moussinac, Le Radeau de la Méduse (Hier et Aujourd’hui, 1945). Il y eut 25.577 Espagnols et 6.808 volontaires des Brigades internationales internés à Gurs. Y naquirent des contacts pour la résistance ultérieure. Parmi 26.641 juifs français et étrangers, 1.470 Français et 63 gitans, se trouvèrent de nombreux déportés et 1.072 moururent sur place (plaquette du ministère de la Défense, 2003).

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