Il y a quatre ans, le 4 août 2018, mourrait Arsène Tchakarian, le dernier survivant du Groupe Manouchian, dit groupe de l’Affiche rouge.
Michel Martineau, membre fondateur de HSCO et auteur du livre « Les inconnus de l’Affiche rouge », se souvient d’une visite qu’il avait faite à Arsène Tchakarian chez lui.
Par Michel MARTINEAU.
J’avais fait sa connaissance en 2006, et c’était devenu un ami.
Je l’avais rencontré dans le cadre des recherches que je menais, destinées à m’éclairer sur la mort de mon père, Franck Martineau, exécuté sur ordre du Parti Communiste en juillet 1943, alors qu’il était commissaire de police de la circonscription de Gonesse depuis 1940.
M’appuyant sur mon bon sens, et mu par une forte motivation, j’avais trois axes d’attaque : les historiens, dont Jean-Marc Berlière, spécialiste de la police sous l’Occupation, les témoins encore en vie, dont Arsène Tchakarian, et les archives de mon père, à présent déposées aux Archives Départementales du Val d’Oise.
L’existence du Groupe Manouchian me fut révélée dans les années 80. Ni le film « Des terroristes à la retraite », de Mosco Boucault (1), ni la chanson de Léo Ferré sur l’Affiche Rouge (2) ne m’avaient interpelé à leur sortie.
La Shoah est venue sur le devant de la scène dans les années 70 et, à partir de 1985, on a vu enfler l’épisode de l’Affiche rouge, et l’histoire fera place à la légende dans les années 2000.
Arsène, « terroriste à la retraite », tailleur de son métier, était partie prenante de l’opération de construction de la légende. Il se fit historien, chargé de dire la vérité sur les exécutions du Mont-Valérien. Le Parti Communiste parlait de 6 000 fusillés au Mont-Valérien ; l’ouvrage de Tchakarian (3), quant à lui, arrête le nombre de victimes à 1 007, un peu moins que pour la citadelle d’Arras.
En 2006, j’ai longtemps cherché le livre d’Arsène intitulé Les fusillés du Mont-Valérien et de la région parisienne, et, l’ayant enfin trouvé, je me suis mis en recherche de l’adresse de l’auteur. Je souhaitais parler avec lui du contexte, afin de tenter de cerner la vérité sur l’exécution des traitres.
Ce livre m’a apporté des précisions sur les gens que je cherchais. Il y a quelques erreurs d’orthographe des noms propres, mais l’ensemble est clair.
Dans le même temps, Arsène Tchakarian visitait les écoles pour parler de sa Résistance. Il le faisait avec flamme et conviction, participant malgré lui à la construction de la légende, qui ne fait pas forcément bon ménage avec l’historien.
Il a rédigé en collaboration un livre de souvenirs : Les camarades de l’Affiche Rouge. Le livre est cohérent, mais pas forcément en phase avec les écrits d’historiens tels que Franck Liaigre (4), par exemple.
Lorsque j’ai fait la connaissance d’Arsène il avait 90 ans et surfait sur la légende déjà bien mise en exergue par le Livre et le Cinéma. Notre premier contact physique a eu lieu en mars 2010.
J’ai répondu à une invitation qui nous conviait, ma femme Lucie et moi, à déjeuner dans sa maison de Vitry-sur-Seine, où Madame Tchakarian nous a réservé un accueil chaleureux. Arsène est venu à notre rencontre depuis le fond de son jardin, au pas de gymnastique ! L’homme était éclatant de santé et de vigueur.
Son jardin était à son image, étonnant, avec la mise en valeur des plantes qui recevaient le soleil par des jeux de miroirs sophistiqués. Il avait fait son bureau dans une cabane de jardinier noyée dans la verdure. Là dormait un stock important de documents historiques.
Au cours du repas, il nous parla de sa passion pour la mer et de son goût pour la peinture de marines. Il passait ses vacances près de Boulogne-sur-Mer, où il avait une maison et où il était bien intégré à la vie locale.
Au cours de la conversation, il reconnut qu’il y avait, dans les rangs des FTP, des gens qui tuaient des Français. Lui et ses camarades attaquaient les Allemands. Il n’avait qu’une mémoire confuse de l’organisation de son organisation terroriste. Sa référence était Manouchian. Il avait des doutes sur Boris Holban et sur l’action réelle du Colonel Gilles. Ce dernier n’appelait aucun souvenir chez Arsène, qui pensait qu’il aurait eu en charge la seule Seine-et-Oise.
Les faits majeurs se situaient sur un période fort courte, de mai 1943 à janvier 1944. Le simple FTP-MOI Arsène ne pouvait pas être au courant de tout ce qu’il en était de l’évolution d’une organisation à bout de souffle et d’une structure hiérarchique chancelante se refilant la patate chaude et mobilisant des adolescents de Gonesse pour faire des attentats parfois risqués. Un détail qui ne trompe pas : des grands noms de la Résistance armée n’apparaissent à aucun moment.
L’ouverture des Archives de la Préfecture de Police a permis de corroborer les souvenirs d’Arsène, qui ne sont pas de l’affabulation. L’efficacité militaire des attentats avait affecté le moral des troupes allemandes et provoqué des effets collatéraux. Mais on ne peut pas dire que l’armée allemande en ait été fortement affectée. Sur le plan de l’honneur national et de la satisfaction de ceux qui refusaient l’occupation (et j’en faisais partie, bien que très jeune à l’époque), il en va différemment.
Arsène Tchakarian, lui, estimait que les actions avaient eu un rôle déterminant sur la victoire finale…
En 2017 est sorti un CD qui relate la vie d’Arsène Tchakarian et place bien son action résistante dans un contexte de lutte contre la tyrannie et la xénophobie, sur fond de militantisme communiste.
Tout a commencé avec le génocide arménien, la fuite, puis l’arrivée au « pays des droits de l’homme ». La suite s’est enchaînée… logiquement…
Michel MARTINEAU
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Des_terroristes_%C3%A0_la_retraite
(2) https://www.youtube.com/watch?v=xGZ1lnwwYfs
(3) On peut trouver Les fusillés du Mont-Valérien et de la région parisienne, d’A. TCHAKARIAN, d’occasion sur Internet.
(4) LIAIGRE Franck, Les FTP, Nouvelle histoire d’une Résistance, Editions Perrin, 2015.
Fiche MAITRON d’Arsène TCHAKARIAN : https://maitron.fr/spip.php?article177729