La « rafle du Vel’ d’hiv’ » vue par les médias et les politiques – C’est l’histoire qu’on assassine !

 

Par Jean-Marc BERLIERE

 

 

« Le SS-Haupsturmführer Dannecker a indiqué de façon très nette qu’il n’était absolument plus question de discuter de l’évacuation des juifs de zone occupée. Qu’il s’agissait là d’une décision allemande qui devait être appliquée par la police française en tout état de cause » (note du SS-Obersturmführer Röthke, du 26/6/42 citée par S.  Klarsfeld, Le Calendrier de la persécution des Juifs de France, juillet 1940-Août 1942, Fayard, 2001, p. 424)

« J’ai dit à Leguay […] que la police française  […] était tenue d’exécuter ce que nos services locaux ou les commandos de la SIPO qui en dépendent pouvaient être amenés à leur demander, sans s’informer au préalable auprès du Secrétaire d’État à la police de la légitimité des ordres en question. » (SS-Hauptsturmführer Dannecker, 8 juillet 1942, Cité par S. Klarsfeld, Le Calendrier de la persécution des juifs de France, T.2, p.473)

On sait que la commémoration n’est pas plus la connaissance que la mémoire n’est l’Histoire. On sait aussi qu’idéologie et histoire n’ont jamais fait bon ménage, mais des sommets d’imprécision, d’approximations, d’erreurs, d’élisions, d’affirmations erronées et hasardeuses ont été atteints avec les commémorations du 80e anniversaire de la « rafle » dite du « vel’ d’hiv », le tout avec la complicité ou le consentement/l’aval ou à tout le moins le silence d’historiens-idéologues[1] pour lesquels, la vérité historique importe moins que la lutte sans danger, mais source de grands profits médiatiques, contre des moulins à vent (Zemmour, Vichy…) relativement inoffensifs :  des interventions ou un silence qui n’ont pas été sans conséquences sur le discours prononcé à Pithiviers par un président oublieux des leçons de Paul Ricoeur dont il se réclame parfois. Face à ce déferlement, il est nécessaire voire indispensable de rappeler quelques vérités historiques et cette règle essentielle de l’histoire scientifique : éviter toute téléologie, rendre au passé son futur : en 1942 on ignorait ce que NOUS savons.

S’il n’est pas question de nier le caractère antisémite et surtout xénophobe du régime de l’État Français, ses lois d’exclusion, ses internements, interdictions, spoliations qui s’inscrivent dans un mouvement né à la fin du XIXe et bien actif dans les années 1930, s’il n’est pas davantage question de minorer les responsabilités des différents gouvernements de l’état français et leur volonté de débarrasser la France de Juifs trop nombreux, on ne saurait pour autant se tromper de cible et, au nom du french voire du police bashing, cautionner les propos répétés ad nauseam dans une escalade quotidienne par de nombreux intervenants de tous bords selon lesquels « Vichy » (sic), Pétain, la « police française », Bousquet… auraient « décidé d’arrêter et de déporter » des milliers de juifs en juillet 1942 comme on a pu le lire et l’entendre des jours durant.

Pour mémoire : le « judéocide » a été décidé, organisé par les nazis (allemands ET autrichiens) qui, dès 1941, ont commencé les massacres en Europe centrale et orientale (la « shoah par balles »). On a longtemps écrit que c’est le 20 janvier 1942, au cours d’une réunion près de Berlin de hauts responsables nazis présidée par Heydrich, que ce dernier aurait annoncé qu’il avait été décidé d’étendre aux pays occupés de l’Europe occidentale ce que le langage codé des nazis a euphémisé sous l’appellation de  «solution finale de la question juive » ou encore « la grande migration », voire « relocalisation des Juifs ».  En réalité, jusque fin avril 42, pour tous les Juifs de l’ouest y compris ceux du Reich et de Slovaquie, il a été décidé d’attendre la victoire sur l’URSS. La décision prise fin avril 1942 par Hitler, Himmler et Heydrich de ne pas attendre la fin de la guerre et d’éliminer tous les Juifs d’Europe est annoncée par Heydrich lors de son séjour à Paris début mai 1942 lors d’une rencontre avec les officiers SS en poste en France occupée[2].

La mise en place de cette décision, son organisation matérielle et technique, notamment la désignation des victimes (qui ?), leur arrestation (comment, combien, par qui, où ?), l’organisation des convois ferrés pour leur transfert vers les centres de mise à mort (essentiellement Auschwitz, parfois Sobibor) occupe les semaines suivantes. En juin 42, Himmler, qui a obtenu le feu vert de Hitler donne à Eichmann – en charge de cette logistique de mort – l’ordre de « libérer totalement et le plus vite possible la France des Juifs ».  Eichmann vient à Paris le 1er juillet pour mettre au point avec les SS du Juden Referat (service IVJ de la Sipo-SD de l’avenue Foch) les détails de l’opération à laquelle, écrit-il, « le gouvernement français [nous] impose des difficultés croissantes » : on est loin de la complicité active dénoncée.  Fin juin, le SS-Haupsturmführer Dannecker, responsable du service IVJ a annoncé aux autorités de Vichy que 40 000 juifs dont 40% de français devraient être arrêtés par les policiers et gendarmes français et « transportés vers l’Est ». Il prend bien soin de préciser que la décision « n’est pas négociable ».

Pourtant négociations il y eut sur le détail desquelles des doutes subsistent du fait de sources lacunaires et essentiellement allemandes.

Du 2 au 10 juillet, les discussions ont porté sur :

Le nombre et la nationalité des Juifs à déporter. À la suite de marchandages dont on ne perçoit les échos qu’à travers les notes et rapports des SS, les parties sont convenues au final d’un total de 22 000 arrestations dans la région parisienne (auxquels le gouvernement français s’engage à ajouter 10 000 autres juifs arrêtés en Zone non occupée[3]). Les Juifs concernés seront des juifs étrangers de certaines nationalités ou apatrides. Noter qu’une partie des enfants que Vichy ne souhaite pas séparer de leurs parents, nés en France d’au moins un parent français sont français[4] : ils représentent une partie des 4 115 enfants de moins de 16 ans arrêtées.

 Qui procéderait aux arrestations.

« À la suite d’une intervention du Maréchal, Laval a proposé que ce ne soit pas la police française qui procède aux arrestations de zone occupée. C’est au contraire aux troupes d’occupation qu’il voudrait laisser ce soin. » Sur ce sujet, Bousquet s’est heurté à une fin de non-recevoir de ses interlocuteurs SS sous un prétexte fallacieux et hypocrite : « Nous avons invoqué, pour justifier notre refus de procéder à l’arrestation des juifs, le fait que nous voulions dans la mesure du possible en arriver à ne pas faire usage de la force d’occupation. » (Hagen, 4 juillet 1942, note sur l’entretien du 2 juillet 1942 avec le Secrétaire Général de la police, Bousquet).  Une note d’un correspondant allemand à Vichy (VMP44) fait savoir, le 2 juillet, au Bureau IVJ que « Laval s’oppose aux rafles imminentes de Juifs. Il se refuse à charger la police française de ces arrestations. » La réponse de Dannecker (rapport du 4 juillet) montre à qui l’oublierait quel est le rapport de forces : « il faut ici bien faire comprendre à Bousquet que la police française en zone occupée est d’abord sous les ordres du chef supérieur des SS et de la police allemande. Elle devrait donc arrêter même des juifs de nationalité française si elle en recevait l’ordre de la part des Allemands ». Et il précise le 6 juillet avec un cynisme absolu – car LUI n’ignore ni la destination des convois, ni le sort des déportés – : « On a répondu à Bousquet que le fait de débarrasser la France des Juifs, malgré la guerre, était plus qu’un geste de la part de l’Allemagne et témoignait sans aucune ambiguïté possible, de résoudre la question juive à l’échelle européenne. Que l’on n’aille pas s’imaginer que c’est une petite affaire pour l’Allemagne que d’absorber une aussi grande quantité de Juifs.»[5]

Ce sont donc finalement les policiers de la Préfecture de police (PP) qui opéreront comme en août 1941 (rafle dite du 11e arrondissement) mais SEULS cette fois. Une solution qui présente du côté allemand un double intérêt : compromettre encore plus le gouvernement français et en faire un complice dans une besogne où les occupants qui ne connaissent ni la langue ni le terrain ne seraient pas aussi efficaces et provoqueraient un affolement des victimes effectivement rassurées de n’avoir à faire qu’à des policiers – gardiens de la paix pour l’essentiel – français. Ne pas affoler les victimes, mentir jusqu’à la porte des chambres à gaz pour éviter tout grincement dans la mécanique du meurtre de masse sera, jusqu’au gazage des juifs hongrois à l’été 1944, un impératif essentiel des bourreaux, dont on imagine qu’ils ne sont pas vantés auprès des autorités françaises de la finalité de l’opération et de la destination réelle des convois. Officiellement ces derniers vont servir à peupler un état juif situé quelque part en Pologne.

Tout ceci nous rappelle – ce qu’on fait semblant d’oublier aujourd’hui – que la France avait perdu la guerre  en juin 1940 et demandé par la voix du dernier gouvernement de la IIIe République, dirigé par le maréchal Pétain, un armistice signé le 22 Juin 1940 dont la nécessité ou l’opportunité feront toujours débat, mais aux termes duquel la France – c’est le seul pays vaincu par l’Allemagne dans ce cas – conservait un gouvernement sur une partie non occupée de son territoire.

Dans la zone occupée, l’Allemagne victorieuse s’était attribué les pouvoirs de la puissance occupante tels que définis par la convention de La Haye de 1907. Ce qui signifie concrètement que les ordonnances allemandes y avaient force de loi et que l’administration, les fonctionnaires et les pouvoirs publics français devaient les appliquer sans possibilité de discussion. Il est facile de dire, 80 ans plus tard, qu’il suffisait de ne pas obéir ! Ce sont donc les Allemands du MBF – le commandement militaire installé à l’hôtel Majestic – et pas le gouvernement français qui a des pouvoirs très limités dans la zone occupée – qui y ont imposé le recensement des juifs d’octobre 1940, l’oblitération des cartes d’identité par un tampon « JUIF » à retirer dans les commissariats (13 octobre), la réalisation d’un fichier juif à la PP, diverses mesures antijuives et, enfin, le port de l’étoile jaune auquel les autorités françaises ont refusé de se prêter des mois durant de décembre 1941 à la fin mai 1942 – une mesure qui n’entrera jamais en vigueur en ZNO, y compris après l’invasion de ladite zone en novembre 1942 – contrairement à ce qu’on a pu lire et entendre un peu partout[6]. Lire la suite et télécharger l’article entier => JM_Berlière – La_rafle_du_vel’_d’hiv_ vue_par_les_médias_et_les_politiques

Archives Nationales – AN F/7/14895


[1] Un exemple parmi des dizaines, sur France-Inter la très surprenante affirmation les historiens Nicolas Offenstadt et Pascal Ory (16ème minute de l’émission « Tout est faux dans ce que raconte Zemmour »,   https://www.youtube.com/watch?v=2nW5kc2PV9s&t=975s&ab_channel=FranceInter

qui, en se référant au livre de Laurent Joly, déclarent que la distinction entre juifs français et juifs étrangers « ne fonctionne déjà plus au moment des rafles de 1942 »  alors que cette question est au cœur de toutes les négociations entre les nazis et Bousquet et Legay. Savoir se taire quand on ne sait pas et ne pas intervenir sur une question qu’on ne maîtrise pas : premier commandement de l’historien.

[2]  Mario R. Dederichs, Heydrich, le visage du mal, Texto-Tallandier, 2016, p. 156. ; Edouard Husson,  Heydrich et la solution finale, Tempus, 2012 p. 361.

[3] « Compensation » française aux « concessions » allemandes sur le total et la nationalité des Juifs à arrêter ? Notons que parmi ces étrangers ou apatrides installés en Zone non occupée, se trouvent les 7000 Juifs du pays de Bade que les nazis ont expulsé vers la France en octobre 1940.  Laval, pas fâché de ce « retour à l’envoyeur », rappelle qu’il ne serait « pas déshonoré » d’expédier « les innombrables juifs étrangers qui sont en France » vers « cet état juif » que le gouvernement allemand dit avoir l’intention de créer à l’Est, dans le « Gouvernement général «

[4] La loi de 1927 prévoyait que les autres – nés de deux parents étrangers – le seraient à leur majorité.

[5] Tous ces documents sont cités par S. Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, Fayard, 1983, pp. 230-236.

[6]  Cf. l’Express du 25 septembre 2018 « Comment Vichy a imposé l’étoile jaune » (sic)

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