Protection de l’enfance sous Vichy : 104 Maisons spécifiques destinées aux enfants de parents prisonniers et/ou réquisitionnés dans le cadre du Service du travail obligatoire et/ou de l’Organisation Todt

La Maison d’enfants de Loures-Barousse dans les Hautes-Pyrénées (Fonds documentaire Isabelle Vaha)

Isabelle VAHA 

      La protection de l’enfance sous Vichy concerne une multitude de catégories d’enfants : enfants zoniers, abandonnés, inadaptés, perdus, délinquants, etc. On ne sait toutefois pas grand-chose des centaines de milliers d’enfants de pères prisonniers, de parents réquisitionnés dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO) et de l’Organisation Todt. Que deviennent-ils quand la solidarité familiale ne peut s’exercer ? En situation de précarité matérielle et psychologique, ils doivent pourtant être pris en charge et notamment dans des Maisons qui leur sont dédiées. Objets de multiples batailles idéologiques et institutionnelles, ces Maisons sont devenues, pour ma part, des sujets d’observation de grand intérêt qui illustrent cette époque tourmentée mais aussi des creusets de surprises qui déconstruisent certaines des représentations que nous avons de celle-ci.

La période de Vichy ne cesse d’inspirer chercheurs, historiens, cinéastes et/ou tous acteurs de toutes qualités, désireux d’en savoir davantage. Après plusieurs décennies, il semble que nous n’en ayons toujours pas fait le tour. Loin s’en faut ! Philippe Burin dira que « Le régime de Vichy est aussi remémoré, bien évidemment, parce qu’il est sorti de la défaite et qu’il épousa le temps de l’Occupation, avec les divisions et les souffrances qui lui firent escorte. Or, ce souvenir reste vivant chez nombre de Français qui ont connu la période et sont en position de marquer le débat public et la production intellectuelle[1]. »  Et Fabrice Virgili d’ajouter : « Vichy n’a pas cessé d’être et de réapparaître d’ailleurs à des moments inattendus[2]. » D’autant que les archives ou autres lieux de recherches ne sont pas près de livrer l’ensemble de leurs secrets parce qu’inexplorés, cachés et transférés ailleurs, comme le souligne Sophie Cœuré[3]. Ou encore, parce qu’elles contiennent des informations qui pourraient nuire à l’unité nationale et que leur déclassification tarde à venir. De plus, les témoins se font de plus en plus rares, voués à faire disparaître, pour de multiples raisons, ce pan funeste de notre histoire nationale.

« Les Maisons d’enfants sous tutelle du  Secours National/Entr’Aide d’Hiver du Maréchal, entre prescrit idéologique et créativité pédagogique[4] », objet de ma thèse, soutenue en octobre 2022, ouvre une nouvelle niche de recherches sur la protection de l’enfance et essentiellement sur une catégorie d’enfants qui n’a pas été l’objet (ou très rarement) d’une observation appuyée : les enfants de pères prisonniers, des familles réquisitionnées dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO) et/ou de l’Organisation Todt[5]. Si l’enfance inadaptée a requis l’attention de Michel Chauvière[6] et l’enfance délinquante, celle, entres autres, de Sarah Fishman[7], les enfants qui nous intéressent semblent ne pas avoir suscité une quelconque attention. C’est du moins ce qui apparaît dans mes recherches et qui est confirmé par mes aidants à celles-ci.

L’inédit de mon travail d’investigation est donc l’observation de ce public spécifique accueilli dans des Maisons qui leur ont été principalement dédiées. Nous savons, d’emblée, que de nombreuses institutions accueillent déjà des enfants, qu’elles soient étatiques, caritatives et/ou associatives. La typologie des enfants est multiple : enfants zoniers, inadaptés, orphelins, délinquants, etc. Il existe ainsi des constellations de structures d’accueil, sans oublier celles de la Croix-Rouge, l’Assistance publique et bien d’autres. Cependant, c’est principalement le fonds d’archives du Ministère des finances, découvert lors de mes enquêtes, qui mentionne une autre sorte de lieux d’accueil, soit un peu plus de cent Maisons réparties sur tout le territoire, principalement destinées aux trois catégories d’enfants précitées qui constituent mon public de référence. La consultation des archives départementales du Cantal, de la Sarthe et des Deux-Sèvres apportera, par la suite, des éléments d’informations supplémentaires sur notre sujet.

Ces Maisons dont l’histoire est, pour la plupart d’entre elles, chaotique, funeste ou, dans d’autres cas, quasi romanesque, vont devenir l’enjeu d’une bataille idéologique portée par la politique familialiste de Vichy. => Lire la suite et télécharger l’article entier en pdf : VAHA I Protection de l’enfance sous Vichy Vdef2

 

[1] Burrin Philippe, Fascisme, nazisme, autoritarisme, Edit. du Seuil, Paris, 2000, page 283.

[2]Entretien avec Fabrice Virgili du 26 novembre 2021 autour de la contextualisation du sujet traité.

[3] Sophie Cœuré , La mémoire spoliée – Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique, Paris, Payot, 2007.

[4] Sous la direction de Mathias Gardet, Paris 8, IHTP/Institut de l’Histoire du Temps Présent, Ecole doctorale de la Théorie du Sens.

[5] Génie civil sous la direction de Fritz Todt puis d’Albert Speer, en lien étroit avec Hitler, responsable des travaux de bâtiments lourds, militaires ou civils, en Allemagne et dans les pays occupés. Les Allemands réquisitionnent, voire raflent des travailleurs(ses) dans les camps, les usines, à domicile, afin de constituer la main-d’œuvre nécessaire pour soutenir leur effort de guerre.

[6] Michel Chauvière, Enfance inadaptée – L’héritage de Vichy, Paris, Les Éditions ouvrières, 1980.

[7] Sarah Fishman, La bataille de l’enfance – Délinquance juvénile et justice des mineurs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Rennes, Presses Universitaires, 2008.

Dans un premier temps, assistante sociale scolaire dans une banlieue dite difficile de la région parisienne, Isabelle Vaha s’intéresse à l’histoire urbaine ainsi que celles des immigrations avec, entre autres, une attention particulière pour les armées de Provence impliquées dans le conflit de 39-45.

Elle prend ensuite des fonctions d’enseignante à l’Ecole de Travail social de l’APHP en développant aussitôt un programme conséquent sur l’action sociale sous Vichy, aussi bien en formation initiale que continue. Elle conçoit un programme annuel, « Les Jeudis de l’Histoire »,  à destination de l’ensemble des personnels de l’APHP ainsi que d’un cycle d’histoire de l’Hôpital Rothschild sous l’Occupation. Mastérisée à deux reprises, elle axe ses travaux universitaires autour de l’action sociale sous Vichy auxquels elle ajoute une recherche, en DU d’Ethique, sur l’internement des Tziganes pendant la Seconde Guerre Mondiale. Investie autour de cette question, elle participe, chaque année, avec les citoyens itinérants, à la commémoration du camp de Linas-Montlhéry (91). Elle est également à l’origine de la nomination de deux des bâtiments de l’Hôpital-prison Rothschild, dont elle a dévoilé la plaque le 18 novembre 2022. Isabelle Vaha est l’auteure d’une thèse consacrée au placement des enfants de pères prisonniers, de parents réquisitionnés dans le cadre du STO, validée par Armelle Mabon, Laurence Gavarini, Jean-Pierre Le Crom et Fabrice Virgili. Quoique retraitée, elle est encore très impliquée dans la transmission historique avec les étudiants : cours interactifs, partages d’archives, circuit historique dans la capitale, etc. Elle est membre du Groupe de Recherches de l’Histoire du Service social (GRHESS) au sein duquel, entre autres, elle abonde un dictionnaire biographique.

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