Par Jacques de Lajugie
Le texte ci-dessous fait suite à deux articles. Le premier portait sur la seconde moitié des années 1930 (« La montée des périls : 1935-1940 ») et le second sur la période comprise entre la signature de l’armistice et l’invasion de la zone libre (« Juillet 1940-Novembre 1942 : le temps des épreuves »). Il ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité, tout ne pouvant pas être dit dans le cadre, par construction limité, d’un article. L’auteur a, pour une bonne part, travaillé à partir des archives conservées au Service Historique de la Défense, la série 7 NN (communément appelée « Fonds de Moscou »), la série GR 28 P 9 et la série GR 28 P 13 entre autres.
Deux jours après le débarquement en Afrique du Nord et quelques heures avant l’invasion de la zone libre (événements que le Service avait manifestement anticipés), le Colonel Rivet et le Colonel Ronin (chef du SR Air) quittent la métropole et gagnent Alger[1]. D’une part parce qu’ils ont parfaitement compris que le régime de Vichy n’avait ni la possibilité effective, ni la volonté de s’opposer si peu que ce soit à l’occupant et glissait chaque jour un peu plus dans la collaboration, y compris sur le plan militaire. D’autre part pour se mettre à l’abri car ils se savent identifiés et, par voie de conséquence, recherchés par l’occupant[2]. Quant aux cadres du Service qui ne sont pas ou pas encore en mesure de quitter la métropole, la grande majorité d’entre eux va plonger dans la clandestinité (quand ils n’y sont pas déjà[3]) ou passer, à leurs risques et périls, en Afrique du Nord via l’Espagne[4]. A une exception près[5], aucun d’entre eux ne s’engagera si peu que ce soit dans la voie de la collaboration avec l’occupant.
En faisant le choix de gagner Alger (plutôt que Londres via Gibraltar, même si c’était moins évident et plus compliqué, techniquement et politiquement parlant), les dirigeants du Service obéissent à un réflexe qui est à la fois naturel et institutionnel. Ils se mettent à la disposition du commandement car ils considèrent que tels sont leur devoir et leur vocation[6]. Ils le font alors qu’ils n’éprouvent pas la moindre sympathie pour l’Amiral Darlan (qui avait tout fait pour affaiblir et marginaliser le Service à l’époque où il était Vice-Président du Conseil) et qu’ils n’ont jamais entretenu une relation privilégiée avec le Général Giraud (même si le Service avait chargé le Capitaine Vellaud d’assurer sa sécurité entre son retour en France et son départ pour Alger[7]).
Pour explicable, sinon compréhensible qu’elle soit, la décision prise par les dirigeants du Service de rejoindre Alger pour y reprendre leurs activités au grand jour et pour y poursuivre le combat contre l’occupant[8] n’en a pas moins été jugée avec sévérité et, pour dire le vrai, considérée comme «opportuniste » par une partie des dirigeants du BCRA, le Colonel Passy en tout premier lieu[9], ce qui n’est pas indifférent au regard de la suite des événements[10]. La personnalité et le parcours professionnel du Colonel Rivet étant ce qu’ils sont, le propos mérite pour le moins d’être nuancé. Il n’a d’ailleurs jamais été repris si peu que ce soit par un homme tel que Jacques Soustelle alors même qu’il lui est revenu, en tant que Directeur Général des Services Spéciaux, d’imposer au Service la fusion avec le BCRA entre la fin du mois de novembre 1943 et la fin du mois d’avril 1944[11].
LA GUERRE CONTINUE, EN AFRIQUE DU NORD EN TOUT PREMIER LIEU
Dans l’immédiat, la guerre continue, en Tunisie notamment. Elle durera encore plus de deux ans. C’est dans ce contexte et pour y jouer le rôle qui lui est normalement dévolu que le Service reprend la plénitude de ses activités. Lire la suite et télécharger l’article entier => J. de Lajugie Amère victoire novembre 1942-Avril Vdef
Pour mémoire : il s’agit là de la partie 3 d’une série de trois articles sur les Services de Renseignement de l’armée pendant la Seconde Guerre mondiale.
L’article 1/3 intitulé Les Services Spéciaux face à la montée des périls : 1935-1940, peut être lu sur le site de l’AASSDN par ce lien : J. de Lajugie Les Services de Renseignement de l’Armée La montée des périls
L’article 2/3 intitulé Les Services de Renseignement de l’Armée de juillet 1940 à novembre 1942 : le temps des épreuves, est paru sur le site de HSCO et peut être lu et téléchargé par ce lien : https://hsco-asso.fr/les-services-de-renseignement-de-larmee-de-juillet-1940-a-novembre-1942/
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[1] A l’inverse et alors qu’il est une des cibles privilégiées de l’Abwehr compte tenu des responsabilités qu’il exerce à la tête des Travaux Ruraux, le Commandant Paillole ne fait pas partie du voyage. Il en concevra une certaine amertume. Il en fera part au Colonel Ronin quand il le retrouvera à Gibraltar après avoir franchi clandestinement la frontière espagnole et avant de gagner Londres (où ils rencontreront ensemble le Colonel Passy, réunion dont il ne sortira à peu près rien).
[2] C’est pour la même raison que le Service avait, dès le début de l’été 1940, exfiltré en Algérie le Capitaine Doudot.
[3] Ce qui est de facto le cas des agents de TR et, dans un autre registre, celui de la section « Allemagne » du 2ème Bureau, laquelle abrite ses activités à Lyon derrière une société fictive (« Technica »).
[4] Ce que fera, entre autres, l’ex-chef de la SCR entre 1936 et la déclaration de guerre, le Colonel Schlesser.
[5] L’exception à la règle est le fait du Capitaine Beaune.Il avait été écarté au mois de mars 1937 de l’antenne de Nice à la suite d’une inspection conduite par le Lieutenant – Colonel Schlesser car il était considéré comme très, pour ne pas dire trop, proche de Joseph Darnand, lequel était la cheville ouvrière des livraisons d’armes du SIM au CSAR (c’est-à-dire à la « Cagoule »). Il sera nommé Attaché Militaire Adjoint à Budapest et finira par rejoindre le SR de la Milice.
[6] Fait significatif, le Colonel Rivet se présente à l’Amiral Darlan juste après être arrivé en Algérie alors même que l’Amiral Darlan avait voulu le démettre brutalement de ses fonctions à la fin de l’année 1941.
[7] A mesure que le temps passera, les commentaires que fait le Colonel Rivet dans son « journal de marche » sur l’action du Général Giraud sont de moins en moins amènes jusqu’à devenir critiques à partir du début de l’année 1944.
A noter que l’évasion du Général Giraud au mois d’avril 1942 doit beaucoup plus à la 7ème Colonne d’Alsace, qui était dirigée par Paul Dungler et qui a été financée, au moins pour partie, par les fonds secrets du régime de Vichy qu’au Service. Quant au Capitaine Vellaud, il sera chargé par le Commandant Paillole de constituer et de diriger le réseau TR « Jeune » au tout début de l’année 1943. Parachuté en France à la fin de l’année 1943, il sera arrêté à Paris au mois de mars 1944 et fusillé à Buchenwald au tout début du mois d’octobre 1944, en même temps que le Capitaine Avallard, chef du poste TR « Jeune » de Marseille.
[8] Jusqu’au mois de novembre 1942, le Service continue, par la force des choses, à lutter contre l’ensemble des menées étrangéres, qu’elles soient le fait des pays de l’Axe ou de l’IS, du SOE et de la France Libre. C’est ainsi que le Tribunal Militaire de Montpellier prononce trois peines de mort et une peine de travaux forcés à perpétuité pour espionnage au profit de l’Allemagne le 22 octobre 1942. A contrario, le Tribunal Militaire de Marseille condamne, le 27 octobre 1942, à dix ans de travaux forcés pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat un officier britannique d’origine belge, spécialiste des liaisons radio.
[9] Dans ses Mémoires, le Colonel Passy écrit : « On nous a souvent reproché de n’être que des amateurs. C’est parfaitement exact. Les spécialistes n’arriveront que fin 1942 dans le sillage du Général Giraud après le débarquement en Afrique du Nord ».
Evoquant le mois de novembre 1942, il parle de « l’heure où les chefs des Bureaux MA, changeant brutalement de position, volaient dans le sillage du Général Giraud vers la victoire qu’ils apercevaient au loin ».
[10] Dans le livre qu’il a tiré d’un long entretien avec Alain Gilles Minella (« L’homme des services secrets »), le Colonel Paillole a ce propos, révélateur à bien des égards : « C’est à partir de 1943 qu’une dégradation de nos rapports avec nos camarades du BCRA a été très sensible, dégradation que la rivalité Giraud / de Gaulle a portée à son paroxysme ».
[11] Dans ses Mémoires (« Envers et contre tout »), Jacques Soustelle (qui avait travaillé pour le compte du Service au Mexique avant la guerre) évoque « ces services (DSR-SM) dont les chefs, Rivet et Paillole en tout premier lieu, étaient très compétents et d’un indiscutable patriotisme et dont beaucoup d’officiers apportaient à leurs tâches un sens passionné du devoir ».
Une petite question sur une note de bas de page où il est écrit: « A noter que l’évasion du Général Giraud au mois d’avril 1942 doit beaucoup plus à la 7ème Colonne d’Alsace, qui était dirigée par Paul Dungler et qui a été financée, au moins pour partie, par les fonds secrets du régime de Vichy qu’au Service. »
Dans un célèbre article de la Revue des Deux Mondes d’avril 1962, René Chambe présente le commandant de Linarès, du 2e bureau de la région militaire de Lyon comme la cheville ouvrière de l’évasion de Giraud et de l’envoi en Allemagne de Roger Guerlach qui guidera Giraud pendant son évasion.
Ce qui amène 2 questions:
La publication de 1962 par un acteur de l’opération (Chambe) fait-elle autorité ?
Quelles étaient les relations entre les SR du colonel Rivet et le deuxième bureau de la région militaire de Lyon (ou d’autres régions militaires) ?
Réponse de Jacques de LAJUGIE :
– Sur le premier point, rien ne permet de mettre en cause le témoignage du Général Chambe (qui connaissait bien le Général Giraud pour avoir commandé en 1940 les forces aériennes de la VII ème Armée). Il a fait partie du groupe d’officiers qui ont préparé l’évasion du Général Giraud. Le Cdt de Linarès (qui avait monté dès les derniers mois de l’année 1940 un réseau d’évasion des prisonniers de guerre et qui rejoindra le Général Giraud à Alger à la fin du mois de novembre 1942) en était effectivement la cheville ouvrière.
– Le 2ème Bureau et le SR n’étant que les deux faces d’une même médaille sur le plan institutionnel, les rapports du Colonel Rivet avec le chef du 2ème Bureau (qu’il s’agisse du Colonel Gauché avant la guerre ou de son successeur, le Colonel Baril, entre l’armistice et l’invasion de la zone libre) ont toujours été « fluides », pour ne pas dire excellents.
– S’il est exact que le 2ème Bureau et le SR ont joué un rôle majeur pour préparer (y compris sur le plan matériel) l’évasion du Général Giraud, c’est la 7ème Colonne d’Alsace qui a été la plus sollicitée pour la gérer (concrètement parlant) et en assurer la réussite. Elle l’a payé au prix fort. On évalue à plus de 120 le nombre de ceux qui ont été fusillés pour avoir participé directement ou indirectement à l’évasion du Général Giraud.
Merci pour ces éclaircissements.
Concernant les 120 fusillés liés à l’évasion de Giraud, quel est l’ouvrage de référence ?
Jean Eschbach, Au coeur de la Résistance alsacienne…, 2003 ?