Maître Maurice Garçon artiste : du barreau au pinceau. Autour du nouvel ouvrage de notre adhérent Gilles Antonowicz

Dans un premier temps, le titre de cet ouvrage récent nous a interpellé. Le maniement d’un verbe habile semble se conjuguer avec une dextérité toute manuelle. L’art impalpable de la conviction orale se prolongerait-il dans la matérialité du tableau ou du croquis ? C’est qu’il n’est pas question, ici, d’art abstrait mais de réalisations très figuratives attestant des dispositions -exceptionnelles- de l’avocat Maurice Garçon à la construction de son message. Un message concret, élaboré avec une esthétique destinée à séduire et surtout à convaincre.

Ces considérations m’ont poussé à interroger plus précisément Gilles Antonowicz, qui a immédiatement insisté sur le parallèle évident entre Maurice Garçon et Jacques Isorni, ténors de nos barreaux. Je vous propose de lire notre échange après la présentation de l’éditeur.

Jean-Michel Adenot

Président HSCO

Présentation éditeur :

Toutes les facettes du génie de Maurice Garçon enfin révélées dans un beau-livre.

On savait que Maurice Garçon (1889-1967) n’était pas seulement l’une des plus grandes figures du barreau : on le connaissait historien, conférencier, amateur de sorcellerie et auteur d’un Journal dont une partie (1939-1945), publiée en 2015, rencontra un grand succès public. Mais peu de monde savait, jusqu’à la découverte de ses carnets, qu’il était aussi artiste. Pinceau ou crayon en main, dans les salles d’audience de province comme en voyage au bout du monde, il croque, caricature, dessine, aquarelle.

De sa vie, Garçon fit une fête. De ses tours de force aux assises à ses escapades dans les cafés parisiens, de ses séances à l’Académie française aux travaux des champs à Montplaisir, il s’amuse. Dans les lettres qu’il adresse à sa fille ou dans les correspondances qu’il entretient avec ses clients et ses amis (Benoit, Cocteau, Genet, Léautaud, Mauriac, Paulhan, Pauvert, Simenon…), Garçon peint comme il écrit et écrit comme il plaide –; avec passion.

Pièces de théâtre, aventures dessinées, billets d’humeur, chansons de cabaret et croquis réalisés lors de procès célèbres… Pour restituer ce foisonnement, il était nécessaire de mettre un peu d’ordre, et l’ordre alphabétique s’imposa. Cet abécédaire dit tout le talent, l’imagination, la fantaisie, l’humour de cet avocat hors norme dont la carte de visite ne saurait être autre, désormais, que : Maître Maurice Garçon, artiste !

Titre : Maître Maurice Garçon, artiste

Préface de Mathieu Garçon, Arielle Lhermitte-Meffre, François Sureau

Seghers ISBN 978-2-232-14526-1, format 28×22, 176 pages

Gilles ANTONOWICZ a publié précédemment une biographie de l’avocat Jacques ISORNI 

 

Défendre ! Jacques Isorni, l’avocat de tous les combats, édition revue, annotée et augmentée, Marges de manœuvre, 2016

 

 

 

 

INTERVIEW DE GILLES ANTONOWICZ PAR JEAN-MICHEL ADENOT

Maître Garçon et Isorni nous sont connus par leurs plaidoiries, efficaces et de haut niveau. Comment pourrais-tu les présenter en quelques lignes et les situer dans leur époque ? En quoi étaient-il innovants (s’ils l’étaient) ?

Isorni et Garçon ont beau ne pas être de la même génération (Garçon naît en 1889, Isorni en 1911, le premier décède en 1967, le second en 1995), ils partagent le même goût pour une éloquence encore marquée par un certain classicisme. Mais ils apportent l’un et l’autre à l’éloquence empesée encore en cours entre les deux guerres, la décontraction et le naturel. Ils n’en demeurent pas moins des esthètes. Pas question comme le fera plus tard René Floriot de « parler populo ». Il faut se souvenir qu’à leur époque, avant la funeste réforme qui devait voir la fusion des avoués et des avocats, les avocats ne faisaient que plaider. Ils ne s’embarrassaient pas de procédure. Ils n’établissaient pas de conclusions. Les avoués s’en chargeaient. Ils pouvaient donc pleinement se consacrer à l’éloquence considérée comme un art. Les meilleurs d’entre eux avaient naturellement une prédilection pour le pénal où ils pouvaient donner toute leur mesure. En outre, et cela vaut plus encore pour Isorni que pour Garçon, les circonstances historiques les ont amenés à plaider des procès à caractère politique, avec des enjeux bien souvent tragiques. On dit parfois qu’il n’y a pas de grands avocats, mais seulement des grandes causes. Il faudrait ajouter : des avocats à la hauteur des grandes causes qu’ils défendent. Ce qui fut leur cas.

Tu nous dépeints dans ces nouveaux ouvrages, et notamment celui consacré à Garçon, des avocats très artistes, eux-mêmes producteurs d’œuvres nombreuses. Est-ce pour eux un dérivatif, un jardin secret, une vocation contrariée ? De façon générale, quels étaient leur rapport avec l’art, leurs goûts ? Sur ces aspects, étaient-ils représentatifs de leur position sociale et de leur profession ? ? Quels liens établis-tu (s’il y en a !) entre leur production artistique et leurs travaux judiciaires ? 

Tous deux peignent (j’ai chez moi un tableau d’Isorni qui avait pour mentor Paul Belmondo et exposait ses œuvres galerie des orfèvres à Paris), Garçon excellant dans les caricatures et les aquarelles qu’il ne cesse de réaliser au cours des procès ou durant ses voyages. Qu’on imagine la scène. En pleine audience, Garçon sort son carnet de croquis acheté chez Sennelier, quai Voltaire, et sa boite d’aquarelle miniature, longue de 7 cm et large de 3. Les pieds posés sur la planchette qui supporte la barre de la défense, il demande à l’huissier d’avoir la gentillesse de bien vouloir lui apporter un peu d’eau dans un godet, puis, muni d’un petit pinceau, une palette minuscule passée sous le pouce de sa main gauche, il entreprend, sous le regard navré du président n’osant lui adresser la moindre remarque, de croquer la trogne couperosée d’un huissier, celle d’un greffier joufflu, les traits anxieux d’un accusé, la suffisance d’un expert, la timidité d’un témoin, la morgue d’un confrère, le visage morose d’un procureur, la tête dodelinante d’un assesseur, l’accablement d’une victime. Inimaginable aujourd’hui ! Ce sont les meilleures de ces œuvres que nous avons réunies dans le « beau livre » publié par Seghers, en les utilisant pour illustrer l’abécédaire Garçon qui a l’ambition, de manière légère et élégante, de raconter la vie intime de Garçon, comme ses combats et ses plus grands procès.

De la même manière, Isorni et Garçon ont tous les deux un rapport étroit avec la musique (Isorni joue du violoncelle dans un trio, Garçon compose des textes pour son ami Vincent Scotto), tous deux écrivent (des essais, des romans), bref, tous deux sont des artistes à la scène comme à la ville !

 

Il est indéniable que la personnalité de Garçon et d’Isorni font d’eux des cas très particuliers. La période qu’ils ont traversée est bien différente de la nôtre. Mais pour autant, vois-tu des profils actuels (avocats ou magistrats) leur ressemblant ? 

J’avoue n’en voir guère … Thierry Lévy, décédé en 2017, était certainement celui qui se rapprochait le plus d’Isorni avec lequel il partageait une vertu d’avocat : l’intransigeance. En ce qui concerne Garçon, celui qui sans doute lui ressemblait le plus (bien qu’il fut plusieurs années le collaborateur d’Isorni) était Jean-Denis Bredin, décédé à son tour voici quelques semaines. Bredin qui, en outre, comme Garçon, était membre de l’Académie française. Lévy et Bredin qui, et cela ne doit rien au hasard, sont précisément les auteurs d’un livre qui connaît encore un grand succès : Convaincre, Dialogue sur l’éloquence, publié en 1997 par les éditions Odile Jacob.

Côté magistrat, et quand je dis magistrat je pense évidemment aux magistrats du parquet, les seuls à manier le verbe devant les juridictions pénales, je citerai de même Philippe Bilger qui fut de longues années avocat général devant la cour d’assises de Paris. Mais Bilger, devenu aujourd’hui – et cela ne doit rien au hasard non plus – président de l’Institut de la parole, n’exerce plus.

Bref, pour résumer, s’il existe encore naturellement de grands avocats se rattachant à cette école (comme par exemple François Saint-Pierre, qui est l’un des avocats du Monde et fut l’avocat de Maurice Agnelet dans l’affaire Le Roux, ou François Sureau qui m’a fait l’honneur de préfacer mon livre sur Garçon), la vérité oblige à dire, comme pour l’orthographe, que le niveau général baisse …

 

Pour plus de précisions, et concernant aussi un autre ouvrage dont nous ne pouvons que recommander la lecture :

https://www.lesbelleslettres.com/livre/4590-isorni

https://www.leslibraires.fr/livre/19674735-maitre-maurice-garcon-artiste-gilles-antonowicz-seghers

 

 

 

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