
Chers amis et amies, collègues, lecteurs…
Ce n’est pas sans un sentiment de gêne que je me permets de m’adresser à vous dans des conditions bien singulières que je déplore profondément, mais que les circonstances imposent.
Comme je l’ai enseigné pendant 43 ans à des générations d’élèves et d’étudiants, l’Histoire n’est pas une science exacte, mais elle repose sur une méthode scientifique élaborée par Seignobos et Langlois à la fin du XIXe siècle et brillamment démontrée par une école historique française illustrée par des maîtres comme Marc Bloch, Fernand Braudel et tant d’autres figures qui font honneur à la recherche historique. Elle est aussi une éthique : en utilisant de façon critique toutes les sources contemporaines, chercher à établir la réalité des faits et approcher au plus près la vérité quand bien même ils ne correspondent pas à l’opinion générale ou à la sensibilité du chercheur.
Historien depuis plus de 50 ans, ce sont ces principes qui ont guidé mon travail d’enseignant, mes recherches et travaux, mes publications.
Ce faisant et vu les sujets et périodes auxquels j’ai consacré mes recherches – polices et policiers, résistance et collaboration, attitude du PCF clandestin, épuration, rôle d’anciens membres des FTP-MOI dans l’espionnage des pays de l’Est après-guerre, etc… j’ai pu constater combien l’histoire est une matière inflammable régulièrement instrumentalisée à des fins idéologiques et réduite à des affirmations aussi simplistes que définitives, un manichéisme primaire que la réalité conduit, forcément, à nuancer.
Après l’affaire Guy Môquet, les sabotages commis pendant la « drôle de guerre », les « liaisons dangereuses » entretenues par miliciens, gangsters et résistants, la « liquidation » des adversaires politiques, des trotskistes notamment, par les cadres spéciaux utilisés par la direction clandestine du PCF sous l’occupation, les crimes commis au nom de la résistance à la Libération, Histoire d’une falsification. Vichy et la Shoah dans l’histoire officielle et le discours commémoratif, un livre écrit – circonstance accablante – avec deux historiens non professionnels, nous a valu l’accusation de pétainisme et autres imputations alors que nous ne faisions que remettre les différents acteurs (l’occupant) et le contexte (la défaite, les conditions de l’armistice et son article 3) à une place que les discours actuels– à commencer par les propos du Président de la République à Pithiviers en juillet 2022– tout occupés à accabler l’Etat français, gomment systématiquement. Il s’agit, dans une histoire douloureuse et complexe- de reposer la question du « paradoxe français » : pourquoi les ¾ de la communauté juive ont échappé à la déportation dans un pays gouverné par des gens qui partageaient nombre d’idées avec l’occupant ?
Loin de défendre Pétain ou « l’Etat français », le livre vise à défendre l’Histoire et sa méthode, rejoignant ainsi les conclusions de Léon Poliakov ou Raul Hilberg, de JP Azéma ou Marc Ferro (Cf. en PJ quelques citations éclairantes de ce point de vue).
Aussi n’avons-nous pas été étonnés quand, en octobre 2024, 20 mois après la sortie du livre, une spécialiste du féminisme au XIXe S qui ne connait ni le sujet, ni notre livre, a dénigré ce dernier sur le site du CVUH (Comité de vigilance des usages de l’histoire). Respectueux de la liberté d’écrire, même n’importe quoi, nous n’aurions pas réagi si l’autrice ne nous avait accusés d’être des « révisionnistes… motivés par la haine de l’autre, de l’étranger, du juif ».
Cf le texte exact paru sur le site du CVUH=>https://cvuh.hypotheses.org/1549
On retrouve là le cas de figure des « historiens militants pour qui la confrontation des sources n’est certes pas la vertu essentielle du métier d’historien » que dénonçait S. Berstein dans une autre affaire :
https://shs.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2004-1-page-233?lang=fr
Mais avec de tels propos, nous sommes clairement dans le domaine de la diffamation.
Il y a des limites à tout et nous avons considéré que nous ne pouvions pas laisser passer de tels propos au nom de tous les historiens dont les travaux ne correspondraient pas à la doxa. Nous avons donc adressé au CVUH un courrier en proposant à Mme Riot Sarcey de faire amende honorable et de retirer cette phrase largement diffusée sur les réseaux sociaux. Nous n’avons reçu aucune réponse. C’est dans ces conditions que nous avons dû nous résoudre à assigner l’autrice pour « diffamation, atteinte grave à la réputation d’une personne pouvant causer un préjudice moral significatif ». C’est donc faute d’un accord amiable que nous avons, à notre corps défendant, « judiciarisé » l’affaire ce que certains nous reprochent : fallait-il se laisser diffamer sans réagir ? Désormais, il importe à la diffamatrice de faire la preuve de ses accusations. Lire la suite sur Le blog de Philippe POISSON => https://portrait-culture-justice.com/2025/06/liberte-pour-les-historiens.communique-de-l-historien-jean-marc-berliere.html