Les Services de Renseignement de l’Armée de juillet 1940 à novembre 1942 : le temps des épreuves

Paul Paillole (à gauche) – Louis Rivet (à droite)

Par Jacques de Lajugie.

      Comme on peut s’en douter, l’effondrement des mois de mai et juin 1940 a été vécu par les personnels du Service comme un véritable séisme, intellectuel et moral, professionnel et personnel. Même s’ils partagent l’amère satisfaction d’avoir, dès le début des années 1930, alerté la hiérarchie militaire et le pouvoir politique sur la montée en puissance de l’Allemagne et sur les conséquences qu’elle était susceptible d’avoir, ils n’en assistent pas moins, en l’espace de six semaines, au naufrage du pays et de l’institution qu’ils ont fait le choix de servir, souvent au péril de leur vie, notamment pour ceux qui ont combattu soit entre 1914 et 1918, soit sur les théâtres d’opérations extérieurs après 1918[1]. On imagine sans peine l’abattement dévastateur et l’accablement profond qui n’ont pas manqué de les saisir. On en retrouve la trace dans le journal de marche du Colonel Rivet [2].

Pour autant, ni les dirigeants, ni les cadres du Service ne donnent à aucun moment le sentiment d’avoir le moindre doute sur les termes et, plus encore, sur la légitimité de leur mission. D’une part parce qu’ils considèrent l’armistice comme une simple suspension d’armes, ce qu’il est du reste sur le plan juridique[3]. D’autre part parce qu’ils ne croient pas un instant que la signature de l’armistice mettra si peu que ce soit un terme aux entreprises de l’Axe, que ce soit en zone libre ou en Afrique du Nord. Dès avant la fin du mois de juin, ils se rejoignent pour considérer que ce qui a été, tout au long des années 1930, leur mission prioritaire, c’est-à-dire prévenir et combattre les ingérences de l’Allemagne et, à un degré moindre, de l’Italie, n’a rien perdu de son actualité et qu’il est essentiel de préserver l’outil qui permettra de la remplir. C’est dans ce contexte qu’ils font le serment de ne pas « baisser la garde » malgré la dureté des temps[4] et qu’ils engagent une réflexion sur le dispositif susceptible de permettre au Service de « persévérer dans son être » et de jouer pleinement son rôle. Lire la suite et télécharger l’article entier => J_de_Lajugie_Le temps des épreuves_HSCO

[1]     Guerre du Rif au milieu des années 1920 ; guerre de Syrie au tout début des années 1920.

[2]     20 juin 1940 : « Heures d’affreuse angoisse ». 25 juin 1940 : « Deuil de la France… Journées d’infinie tristesse ». Les mots employés par le Colonel Rivet méritent d’autant plus d’être relevés qu’il n’exprime quasiment jamais ses sentiments personnels.

[3]     On ne trouve dans les témoignages (écrits ou oraux) laissés par les anciens du Service aucune critique (explicite ou implicite ) contre la décision de demander et de signer l’armistice. C’est un débat qui n’a manifestement pas eu lieu à l’époque.

[4]     C’est devant le monument aux morts de Bon-Encontre (près d’Agen) que les cadres du Service, après une courte allocution du Colonel Rivet, prêtent serment de continuer la lutte coûte que coûte. Repliés au château de Brax (qui sera, à partir de la fin 1942, la base du groupe Morhange), le reste des personnels du Service en fera autant à l’initiative du Lieutenant-Colonel Malraison, adjoint du Colonel Rivet à l’époque.

        Même si elle est plus « forte » que la moyenne, l’initiative prise par le Colonel Rivet n’est pas la seule de son espèce à l’époque. Dans ses Mémoires (« La nuit finira »), Henri Frenay rappelle l’Ordre Général que le Général Lescanne adresse le 26 juin 1940 aux personnels du 43ème Corps d’Armée de Forteresse : « Restez fermes, restez confiants ! Restez fidèles les uns aux autres ! Les jours de deuil auront leur fin ».

———————————————————————————————————-

Jacques de Lajugie est né en 1953. Après des études supérieures qui l’ont conduit à l’Ecole Nationale d’Administration, il a passé sa vie professionnelle dans la fonction publique, pour l’essentiel entre le ministère de l’Economie et des Finances (où il a alterné les postes en administration centrale et les postes à l’étranger, au Moyen-Orient notamment) et le ministère de la Défense. Depuis son départ en retraite en 2019, il a repris le fil de ses études d’Histoire et engagé une recherche sur le Service de Renseignement de l’Armée entre le milieu des années 1930 et le mois d’avril 1944, date de son intégration dans la DGER (devenue le SDECE, puis la DGSE) sous la direction de Jean-François Muracciole, Professeur à l’Université Paul Valery de Montpellier.

Ce contenu a été publié dans Guerre / Alliés, Résistance / Maquis. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.