Les Jeunes de Gonesse – Juin 1943 à Janvier 1944

Photo A. Martineau

Par Michel Martineau.

La ville de Gonesse, Val-d’Oise, a connu une période douloureuse mais glorieuse, bien avant le déferlement patriotique de Juin 1944 qui a vu les retournements de veste de gens volant au secours de la victoire.

L’histoire des quatre jeunes de Gonesse est très éclairante de l’attitude du peuple vis à vis de l’Occupation allemande devenu insupportable au fil des années. Les motivations de ces jeunes gens étaient diverses : gagner sa vie, éviter le STO, l’amour de la patrie, l’aventure… Leur point commun était la haine du Boche dont on avait apprécié la barbarie en 1870 et 1914. Les traditions populaires ont la vie dure !

La commune, peuplée de 4000 habitants, a eu 1/10 ont l00 de sa population fusillée au Mont Valérien, soit l’équivalent de 4500 pour la ville de Paris. Quand on sait que pendant toute la guerre, 1007 hommes ont été exécutés en ce lieu, on se rend mieux compte de l’importance de ce sacrifice.

Ce fut une génération quasi spontanée, poussée sur un terreau populaire qui lui permit une éclosion anarchique, sous la houlette du Parti Communiste réveillé depuis juin 1941.

Le fait déclencheur fut le Service du Travail Obligatoire en Allemagne décidé en février 1943, en fait une véritable déportation imposée aux hommes nés en 1920 et les années suivantes. Le rejet fut unanime et la mise en place laborieuse car tous les rouages bloquaient. La Police fut chargée de contraindre les réfractaires. Beaucoup ne répondirent pas à l’appel. Il faut rappeler que les accords d’armistice de Wiesbaden mettaient la Police et la Gendarmerie aux ordres de l’Allemagne. Comme l’a dit un policier anonyme, on ne pouvait pas toujours fermer les yeux.

La situation de la Police était délicate, mais il faut rappeler que parmi les premiers déportés pour suspicion de résistance il y eut cinq policiers du 4ème district de la police de Seine-et-Oise. Ces faits se produisirent en octobre 1941. La déportation NB, « nuit et brouillard », faisait que les gens disparaissaient dans le néant. Le gouvernement de Vichy a vainement cherché à récupérer les cinq policiers disparus.

Début 1943, Gonesse avait un sergent recruteur du BCRA en la personne de Jean Kentzenger, lieutenant des sapeurs-pompiers du canton, et par ailleurs dessinateur à la SNCF. Il sera le parrain de plusieurs jeunes. Il fera florès avec le STO.

Le premier acte eut lieu le 6 juillet 1943 à Roissy-en-France, où des FTP incendièrent un hangar à fourrage des Allemands. Le FTP Louis Rachinel était à l’action, avec deux jeunes de Gonesse, Jean Camus et Pierre Lorgnet.

L’enquête ne fut pas confiée à la Gendarmerie mais à Franck Martineau, commissaire du district de Gonesse. Il y a peut-être là une des causes de l’exécution du commissaire. Il avait la réputation d’être bien informé…

Qui sont ces Jeunes de Gonesse ?

Jean Camus, 17 ans, ouvrier agricole, connu de la Police pour un différend familial et brutalité envers ses voisins.

Pierre Lorgnet, 23 ans, chauffeur, beau garçon, sans histoires.

Louis Furmanek, 19 ans, manœuvre d’origine polonaise, sans antécédents, qui rejoindra les deux premiers.

Ils quittèrent leur domicile pour passer dans la clandestinité au sein du détachement Victor Hugo. Ce détachement FTP était chargé par le PC de se procurer des fonds en faisant des hold up, et des titres de ravitaillement en pillant des mairies isolées. Leur champ d’action semble être la Seine-et-Oise. Nous utiliserons le conditionnel pour en parler, malgré les sources convergentes.

Le patron serait Joseph Epstein, qui, selon Arsène Tchakarian, se serait limité à la Seine-et-Oise et n’aurait pas eu la main sur les détachements de la MOI. D’après les interrogatoires où il a reconnu des faits, il ne semble pas savoir ce que font ses troupes pour les exécutions de traîtres.

Au niveau opérationnel le détachement Victor Hugo a aussi les châtiments de traîtres : collabos, renégats du Parti communiste… Son responsable est André Joineau, 25 ans, militant communiste résidant au Pré-Saint-Gervais, près de la porte de Pantin à Paris. Il est le frère de Charles Joineau, militant communiste qui fut responsable de la FNDIRP après guerre. André Joineau, arrêté par la BS2 en octobre 1943, a reconnu sous la torture que l’exécution du commissaire Martineau avait été décidée par le Parti pour avoir livré des patriotes aux Allemands et être responsable du STO local. Ce qui est faux. Dans la même veine, le commissaire Gautier, de Juvisy, membre du BCRA, fut tué en novembre 1943 sous le prétexte qu’il aurait livré aux Allemands 40 patriotes…

Après l’incendie du 6 juillet, un deuxième événement concerne les Jeunes de Gonesse, il s’agit de l’assassinat du commissaire Martineau le 15 juillet1943.

Jean Camus et Pierre Lorgnet ont donné toutes les indications sur ses horaires et habitudes. Contrairement à la légende, Jean Camus ne faisait pas partie des tueurs[1].

Courant Août 1943, à Goussainville, Camus, Furmanek et Lorgnet attaquent le poste des gardes des voies de communications. La chose est facile, car leur camarade Albert Drouot, âgé de 30 ans, est de garde. Il est « neutralisé » avec son consentement. Lors de cette opération, les FTP récupèrent 11 pistolets barillet 92. Ces armes, peu efficaces, étaient déjà obsolètes en 1914.

Fin Aoùt 1943, notre trio vole une voiture au pont de Levallois et libère poliment le chauffeur à la Patte d’oie de Gonesse, non sans l’avoir indemnisé pour son trajet de retour. Ensuite ils vont à Nogent-sur-Oise chercher Roland Vachette, un dur, qui fera équipe avec Jean Camus pour les exécutions de traîtres.

L’équipée se poursuit et fait chou blanc auprès de petites mairies de campagne. Au retour, ils tentent une action sur un poste de surveillance de la Luftwaffe et abandonnent.

Au km 22 de la N2, la voiture tombe en panne sèche. Le groupe de cinq attire l’attention de policiers allemands. La voiture allemande est atteinte par un boudin incendiaire et nos FTP se sauvent. Ils vont à la ferme Fretty (Goussainville?) et « empruntent des vélos ».

Dans le même temps les Allemands ont donné l’alerte et les prennent en chasse. Ainsi, près des marais de Goussainville, les cinq FTP sont cernés par des forces importantes : Police allemande, Luftwaffe, Police française, Gendarmerie.

Deux FTP sont arrêtés, dont Pierre Lorgnet qui tente de se suicider avec son pistolet 6.35, celui pris à la main du commissaire Martineau le 15 juillet 43.

L’affaire Martineau redémarre alors. Pierre Lorgnet, évacué par les Allemands, ne sera pas entendu par la Police française. Jean Camus blessé à la joue, échappe aux recherches. Pendant deux jours il va errer dans les jardins ouvriers, mangeant n’importe quoi, buvant l’eau de pluie et se soignant sommairement. Il a perdu ses chaussures et se noircit les pieds pour passer inaperçu. Il semble qu’il ait rejoint Gonesse avant d’aller se mettre au Vert du côté de la rue Cambronne à Paris.

En septembre a lieu l’attentat contre le docteur Guérin, collabo littéraire, devant la Poste de la rue de Courty, à Paris. Une véritable nasse pour les attaquants dont faisait partie Louis Furmanek. Blessé, celui-ci est traité sans ménagement dans les locaux du commissariat de quartier. Le docteur Guérin, qui avait été blessé seulement, est mort de sa belle mort à Tours en 1975.

Ensuite, tout le monde parle. André Joineau est arrêté, Louis Rachinel est recherché, tout comme Camus et Vachette, mais il reste introuvable. Charles Delagarde est dénoncé pour l’affaire Martineau par une lettre anonyme (une femme?), ce qui conforte les soupçons sur André Joineau.

Puis il y a la Saint Barthélémy de la MOI.

En décembre 1943 il ne reste d’actifs que Jean Camus et Roland Vachette.

Sans entrer dans le détail des archives de la PP, l’équipe Camus-Vachette a exécuté au pistolet au moins SEPT personnes sur quelques mois, essentiellement des renégats communistes : des ouvriers, un électricien, un cordonnier, un menuisier, un restaurateur…

Camus, dénoncé à la BS2, est cerné dans un café du 15ème arrondissement par 6 inspecteurs de la BS2. Il tire sur eux, qui ne ripostent pas mais le maitrisent de vive force. Nous sommes le 4 janvier 1944.

Dès le 11 janvier, Roland Vachette est arrêté rue Driessens, à Saint-Denis, dans sa cache. Il blesse l’inspecteur André et se sauve par les toits, où il est atteint d’une rafale de mitraillette STEN anglaise récupérée par la Police. Le même jour, la BS2 capture l’inter-région FTP, enfin reconstituée. C’est le coup de grâce. L’opération a lieu à 8 heures, 37 rue Proudhon, dans le 2ème arrondissement, métro Dugommier. L’inspecteur Chouffot (qui sera fait pour peu de temps chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume), est tué par Louis Chapiro.

Dans les premiers mois de 1944, les Jeunes de Gonesse furent fusillés par les Allemands au Mont Valérien après avoir été recherchés et arrêtés par la Police française.

Camus, Lorgnet et Furmanek ont un monument municipal commun. Albert Drouot n’y figure pas, sans doute par décision de sa famille.

Mais les quatre ont leur rue à Gonesse.

 

Sources :

AN Pierrefitte, Caran, rapport de la Gendarmerie « Blanche » 1943 Seine-et-Oise

AD78 1 W 175

APP GB 123 BS2 35 BS236

Maitron, fiches nominatives

Fonds Franck Martineau, AD95

Les Inconnus de l’Affiche rouge, Michel Martineau, Librelabel, 2014.

 

[1] Martineau Michel, Les Inconnus de l’Affiche rouge, Librelabel, 2014, p. 111 : déclaration d’André Joineau.

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