La découverte d’archives, entre l’aventure et les rigueurs du règlement

Jacques Pirondeau et Jacques Albert / Photo J. Pirondeau

Par Jacques Pirondeau, Julien Duvaux et Anne-Marie Le Mouillour.

        En décembre 2020, Jacques Pirondeau, qui terminait avec Jacques Albert le deuxième tome de leur très remarquable travail sur la Seconde Guerre mondiale dans le Loudunais[1], proposait à HSCO, sous le titre « Les archives oubliées ou ignorées », un texte où il racontait comment il avait vécu la découverte des archives municipales de Loudun et des petites communes environnantes.

Nous reproduisons ici ce texte, ainsi que les échanges qui ont suivi avec d’autres membres de HSCO. Ces échanges, partages d’expériences et de connaissances, constituent l’une des activités de notre association.

Les archives municipales de Loudun et d’autres communes du Loudunais….. 1

La mise au point de l’archiviste………………………………………………………………. 3

Histoire d’un tri des archives communales dans le Morbihan……………………… 4

Archives privées/Archives communales : une clarification………………………….. 5

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Les archives municipales de Loudun et d’autres communes du Loudunais

Tout chercheur en histoire sur le thème de la Seconde guerre mondiale connaît et utilise les grands services d’archives de l’Etat : les Archives nationales (AN) à Fontainebleau, le Service historique de la défense (le SHD) à Vincennes, où l’on peut trouver, pour la période qui nous intéresse, les fonds militaires et résistance, ainsi que le SHD de Caen (la Division des archives des victimes des conflits contemporains (la DAVCC), qui conserve les dossiers des victimes, déportés résistants et politiques, les Archives de la justice militaire (AJM) au Blanc, Aix en Provence, Nantes, sans oublier les Archives départementales (AD), sises dans chaque ville de préfecture, ainsi que les Archives municipales (AM), plus ou moins importantes selon la taille des villes, parfois d’ailleurs inexistantes car triées puis versées aux AD. Mais outre les archives privées encore très nombreuses et totalement hors de recensement, avec Jacques Albert, mon co-auteur, nous en avons exploré de nouvelles, celles que nous avons pompeusement qualifiées d’ANC (archives non classées), un petit acronyme clin d’œil à Nelson Mandela !

Par le plus grand des hasards, un stagiaire peut-être désœuvré, ou tout simplement curieux, a poussé un jour la porte du grenier de la mairie de Loudun (Vienne). Il y a découvert des centaines de kilos de papiers entassés sous les toits, gisant dans la poussière et les gravats. Il en a informé son ancienne professeure d’histoire au lycée, qui nous a alertés, Jacques Albert et moi-même, car les documents concernaient la Seconde Guerre mondiale et étaient susceptibles de nous intéresser.

Jacques Albert compulsant des archives oubliées.

Il faut dire que Jacques, mon co-auteur donc, a ainsi sauvé, deux ans plus tôt, les archives de l’hôpital local qui remontaient jusqu’à une léproserie du XVème siècle, et qui prenaient le chemin de la déchetterie ! Ce sauvetage lui valut de chaleureux remerciements de la part des responsables des AD de Poitiers, suivis d’une conférence préparée par les deux responsables de leur dépouillement et classement. Nous sommes donc « connus », à défaut d’être encore « reconnus ».

Dès l’info partagée, nous nous rendons à la mairie de Loudun, où l’édile, qui n’est jamais monté sous les toits, découvre avec quelques membres du conseil un plancher défoncé, des centimètres de poussière, des hectomètres de toile d’araignée, des trous énormes dans le plancher… et des montagnes de papier, de recueils de lois, de codes, de dossiers ficelés certains sans doute depuis plus d’un siècle. Pour nous c’est un peu la caverne d’Ali Baba ! Comme l’on nous fait confiance, plutôt que de nous obliger à quémander chaque jour la clé auprès de la secrétaire, finalement on nous la confie… à la condition de ne pas nous laisser enfermer le soir, et de ne pas passer au travers des trous du plancher qui laissent apparaître le « bousillis » à maints endroits. Les services municipaux nous installent une table, nous avons l’électricité et dégottons deux ou trois chaises abandonnées dans un grenier adjacent. Et c’est parti ! Plusieurs jours par semaine nous allons dépouiller et classer ces milliers de pages, d’affiches, de dossiers, parfois dans la rigueur hivernale avec des doigts gelés, jusqu’aux chaleurs printanières sous les ardoises où nous apportions nos bouteilles d’eau. Pour nous, c’était un trésor : de multiples statistiques (ach, la rigueur germanique !), des factures pour régler les frais d’occupation, des listes nombreuses d’Espagnols, de Mosellans, de réfugiés de tout le pays, mais aussi la liste des Juifs du Saint-Louis qui, après le périple de leur navire, atterrirent à Loudun et Mirebeau, prélude pour certains à un dernier convoi. Nous y trouvons aussi toutes les directives locales de la Kommandantur, concernant la propreté, l’entretien et le chauffage des douches municipales, l’interdiction de mauvais traitements à animaux, les interdictions variées, les listes de demande de ravitaillement, les pneus, les chaussures… de quoi illustrer par le quotidien les données brutes nationales ou départementales.

Loudun nous donna en quelque sorte des « ailes » pour aller voir ailleurs, dans d’autres communes, si leurs ANC étaient aussi « riches ». Nous ne fûmes pas déçus là-encore ! Entre une échelle et une baladeuse installées pour nous permettre d’accéder à des lieux inconnus, remplis de rebuts scolaires variés, bureaux d’écolier de mon enfance, globes, cartes murales, encriers de porcelaine, de multiples objets susceptibles d’intéresser des brocanteurs… nous trouvons, là aussi, des documents conservés sous des kilos de poussière, avec toutes les directives agricoles (et elles furent nombreuses), ou ailleurs dans un sous sol, des documents abandonnés sur une palette mais classés, ou encore d’autres déjà triés, dans un appentis proche de la mairie, et même des archives du maquis local « oubliées » dans des sacs poubelle ! Que de richesses et de découvertes, qui nous ont motivés à les poursuivre dans quelques autres communes de l’arrondissement !

Mais quid de ces archives ? Désormais les AD n’ont plus, semble-t-il, suffisamment de moyens pour les traiter, c’est-à-dire les nettoyer, les dépoussiérer et les désinfecter, et c’est donc aux mairies de procéder à ces travaux par l’entremise d’une société privée basée à Ménigoute, dans les Deux-Sèvres voisines… Or les petites mairies de campagne n’ont pas non plus les moyens d’assurer ces dépenses. Ces archives, désormais un peu classées par nos soins, vont donc continuer à dormir dans les greniers et autres endroits impossibles, jusqu’à pourrissement… ou disparition pour de multiples raisons…

Jacques Pirondeau

[1] Jacques Albert et Jacques Pirondeau, La Seconde Guerre mondiale dans le Loudunais, Et. Azimut, tome 1 (Courber l’échine, 1939-1943), 202 ; Tome 2 (Relever la tête, 1943-septembre 1944), 2021 ; Tome 3 (La Libération… et après, 1944 – 1948), Ed. La Geste, 2023.

 

La mise au point de l’archiviste

Le texte de Jacques Pirondeau suscita une réponse d’un autre membre de HSCO, Julien Duvaux, archiviste professionnel.

Merci pour cette très intéressante contribution sur des archives « oubliées », thématique qui m’est chère, tant personnellement (j’ai moi-même contribué, par le passé, à ressusciter certains fonds vosgiens pour les rendre accessibles à la recherche), que professionnellement (je suis archiviste en AD, et donc particulièrement sensible à cette problématique).

Si personnellement, en tant qu’historien et chercheur, je ne peux que me féliciter de ce sauvetage, je suis en revanche un peu plus gêné lorsque je revêt ma casquette d’archiviste.

Tout d’abord, pour plus d’exactitude, une petite rectification juridique nécessaire : les archives communales ne sont pas versées, mais déposées aux archives départementales (la modalité d’entrée n’est pas la même, puisque la commune qui dépose son fonds d’archives, par un contrat de dépôt, reste juridiquement propriétaire du fonds communal, même s’il est conservé aux AD ; le versement est une modalité d’entrée réservée aux administrations de l’Etat et aux services du département).

En fait, ce qui me dérange, c’est que légalement le classement d’un fonds communal (archives publiques, très précisément définies et encadrées par le Code du Patrimoine) ne doit jamais être confié à des particuliers, qui ne doivent par ailleurs jamais avoir accès aux archives sans la surveillance continue d’un agent de la commune. Je crains en effet que l’article suscite une « ruée » vers les greniers des mairies rurales où les archivistes départementaux peinent bien souvent à faire prendre conscience aux maires de leurs responsabilités civiles et pénales en matière d’archives (toute destruction ou tri de documents communaux sans le visa des archives départementales est illégal). Je suis bien placé pour en parler car j’ai précisément assuré dans l’Hérault pendant près de 15 ans ce que l’on appelle le contrôle scientifique et technique des AD sur les communes (inspections, contrôles, classement des archives des communes). Il m’a souvent fallu remettre en place des « associations patrimoniales locales » qui se croyaient chez elles dans les mairies, maltraitant les archives (quand elle ne les « empruntaient » pas en oubliant de les rendre…) sous prétexte de valorisation. Dans l’Hérault, systématiquement, nous demandions le dépôt aux AD des fonds en péril afin de le classer et de les rendre accessibles rapidement au public et à la recherche. Par ailleurs, le classement des fonds communaux antérieurs à 1982 (décentralisation) doit être effectué selon un cadre de classement précis, identique dans toutes les communes de France (cadre de classement de 1926).

En tout cas, je comprends dans l’article que Jacques Pirondeau est en relation avec les AD, et cela rassure l’archiviste que je suis.

En fait, ce sur quoi je souhaitais attirer l’attention c’est qu’autant que telle opération sur des archives privées (archives de maquis évoquées dans l’article, notamment) est réellement à valoriser et faire connaître sans aucune réserve, autant un tel travail sur des archives publiques doit être précisément encadré par les Archives départementales (qui, par ailleurs, tiennent souvent un fichier de suivi des archives publiques restées en commune).

Enfin, sur ce dernier point consacré aux moyens, les très petites communes n’en ont bien souvent pas beaucoup à consacrer aux archives, effectivement. Cependant, il faut savoir que l’entretien des archives d’une commune est un chapitre budgétaire OBLIGATOIRE depuis la loi sur les communes de 1884… Tout maire doit donc consacrer de l’argent de ses contribuables aux archives de la commune (les archivistes ne manquent pas de le rappeler !). Pour éviter tout « pourrissement ou disparition pour de multiples raisons » qui seraient plus que dommageables, j’espère que Jacques Pirondeau a bien signalé à mes collègues du département concerné les fonds en déshérence des communes rurales qu’il évoque. La place de ces fonds est aux AD, en lieu sûr, pour que les générations futures en profitent et puissent étudier, elles aussi, leur commune.

Je reste bien entendu à votre disposition pour tout complément d’information.

Bien à vous

Julien Duvaux

Dans le débat qui se poursuivit, Julien Duvaux ajoutait :

Dans le département de l’Hérault, nous avons la chance d’avoir les moyens de classer et de numériser. Nous sommes une soixantaine d’archivistes, tous formés scientifiquement et exigeants dans leur pratique professionnelle. Je peux vous en donner pour preuve -pour ceux qui ne le connaîtraient pas- notre site Internet (https://archives-pierresvives.herault.fr) et son accès riche aux sources numérisées, en partie conservées en mains privées (dont un accès spécifique 39-45 auquel j’ai grandement contribué : https://archives-pierresvives.herault.fr/archive/recherche/guerre3945/n:40 (cliquer sur Rechercher pour accéder à la totalité des fonds numérisés).

 

Histoire d’un tri des archives communales dans le Morbihan

Ce débat animé entre le chercheur et l’archiviste réveilla les souvenirs de la secrétaire de notre association, Anne-Marie Le Mouillour.

Lors de notre journée HSCO de septembre 2017 aux AD de Rennes, nous avions longuement discuté avec M. Joret, responsable des fonds contemporains. Dans le compte-rendu de l’époque, j’avais noté :

« ARCHIVES COMMUNALES : Arrêté du 31 décembre 1926 : depuis cet arrêté, les communes ont l’obligation d’avoir un Répertoire des Archives Communales (répertoire des archives conservées et répertoire des archives détruites. Dans ce répertoire, on doit trouver toutes les archives d’avant 1982. Le chercheur qui veut consulter ce répertoire est en droit de le demander au maire de la commune. Si celui-ci ne fait pas droit à sa demande, il peut saisir les Archives Départementales. »

Tous ces échanges m’ont fait penser à un document que j’ai chez moi depuis quelques années, et qui m’amène à me poser une question d’ordre juridique.

Il s’agit d’une carte d’alimentation, établie au nom d’un habitant d’une commune du Morbihan, habitant aujourd’hui décédé. Cette carte, avec les tickets qui y sont joints, m’a été donnée par un ami qui l’avait trouvée dans son jardin.

Comment était-elle arrivée là ? C’était au milieu des années 90, des gens des AD de Vannes étaient venus à la mairie procéder au tri et au classement des archives communales. Ce qui n’avait pas été conservé avait été brûlé dans le jardin de la mairie lors d’une journée particulièrement venteuse, et les jardins voisins s’étaient retrouvés jonchés de papiers à moitié brûlés, ou même tout-à-fait intacts. Des habitants étaient mécontents d’avoir à nettoyer leur jardin de ces documents sur lesquels figuraient des noms, des adresses, des informations personnelles. Ils étaient choqués, aussi, qu’on ait brûlé des papiers qu’il aurait peut-être fallu garder. Un vieux monsieur m’en parlait encore l’année dernière.

Ceci étant dit, ma question est la suivante : à qui appartient cette carte d’alimentation ?

– à son titulaire ? Mais il est mort il y a des années.

– à ses ayant-droits ? Je ne sais pas où ils sont.

– à la commune, qui n’a pas fini son travail d’incinération d’il y a 25 ans ?

– à moi-même, selon l’article 2276 du Code civil qui dit qu’en matière de meubles, possession vaut titre ?

– ou bien tout simplement… au vent ?

Le vent de l’Histoire, bien sûr !

Amicalement

Anne-Marie Le Mouillour

 

Archives privées / Archives communales : une clarification

Cette anecdote permit à Julien Duvaux de préciser les nuances entre archives privées et archives publiques :

Je peux à mon tour vous apporter mon éclairage -ou plutôt mes éclairages !- sur le statut juridique, pas si simple, de cette malheureuse carte d’alimentation qui a pris son envol breton par le passé…

Officiellement, si elle provient des archives communales, elle est donc publique… mais la marie est, quant à elle, tout à fait en tort, de son côté, de ne pas avoir procédé correctement et totalement à sa destruction physique (pour avoir le « privilège » de subir un autodafé, la carte d’alimentation a dû figurer, à l’époque, sur un visa d’élimination dressé par la mairie et visé par les AD qui autorise sa destruction avec ses autres congénères du même acabit).

En revanche, sur un plan strictement juridique, une carte d’alimentation est une pièce personnelle d’archives privées !!! En effet, au même titre qu’une carte d’identité ou un passeport, elle est délivrée par l’administration à un individu qui doit la conserver lui-même. A l’époque, c’était même une pièce d’identité officielle. Lors du renouvellement des cartes d’alimentation, les anciens titres étaient souvent échangés en mairie contre les nouveaux. Ce qui fait que de nombreuses mairies conservent encore dans leurs archives des titres d’alimentation individuels, même si ce sont des pièces personnelles privées. Les instructions de tri pour les archives communales jusqu’en 2009 préconisaient de détruire, lorsqu’on les trouvait, les vieilles cartes d’alimentation (ce que je n’ai toutefois jamais fait de mon côté dans l’Hérault lorsque je m’occupais des archives communales -on peut désobéir sans problème tout en étant fonctionnaire, lorsque l’on a une certaine sensibilité pour cette période de l’Histoire !). Depuis 2009, il est désormais demandé aux archivistes de les conserver.

Précision de Jean-Michel Adenot, ce qui permettra de dédouaner J. Duvaux et de compléter ce débat !

La question soulevée par notre secrétaire (article 2276 du Code civil : possession vaut titre) mérite tout de même notre considération. A défaut d’une jurisprudence en la matière, il ne semble pas qu’il ait été reproché à quiconque de disposer de pièces anciennes, en quelque sorte démonétisées et sans aucune valeur juridique. Certains en font collection, divers sites internet (nous évitons toute publicité, il suffit d’entrer « pièce d’identité ancienne » dans un moteur de recherche) entretiennent un commerce qui semble florissant. Toutefois, la provenance « communale » de cette pièce pourrait également nous faire pencher pour une carte devenue de facto archive publique, et donc bien maladroitement gérée. Mais ces péripéties ne devraient en aucun cas être reprochées à notre secrétaire ou à son ami.

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