Jean Zay résistant ?

Par Jean-Marc Berlière

Jean_Zay_1936 Par Inconnu — Gettyimages, Domaine public, httpscommons.wikimedia.orgwindex.phpcurid=72676897

 

Invité par la Société lyonnaise d’histoire de la police* pour un hommage rendu le 21 Mars 2019 au fort de Montluc (1) à deux commissaires passés par cette prison avec 10 000 autres victimes de Vichy, puis des Allemands — l’un d’entre eux, le commissaire Jules Cros y est mort, son collègue, Adrien Hemart, directeur des RG à Lyon, membre du NAP, reconnu « Juste parmi les Nations », arrêté en mai 1943, est mort en déportation — j’ai assisté à l’hommage rendu à Jules Cros devant sa cellule 41, puis participé au petit colloque « mémoriel » qui a suivi aux Archives Départementales du Rhône (une caverne d’Ali Baba pour nos recherches !).

Au cours de ce colloque, des descendants se sont exprimés avec beaucoup d’émotion.

Outre la différence bien connue entre mémoire et histoire, j’ai pu une nouvelle fois y constater la difficulté qui existe à caractériser l’action «résistante » de fonctionnaires qui ont agi avec la discrétion indispensable pour faire libérer des résistants arrêtés, faire disparaître des pièces à conviction, fournir de faux papiers à des juifs… et qui n’ont pas toujours été reconnus officiellement résistants après-guerre faute d’avoir appartenu à un réseau estampillé comme ce fut le cas de Jules Cros… Et je me suis une nouvelle fois posé la question : une victime des Nazis, de la Milice… est-elle forcément un résistant ?

Je m’étais déjà interrogé sur ce sujet à propos de Jean Zay lors de sa « panthéonisation »., le 27 mai 2015. Voici les réflexions que m’avait alors inspirées l’événement :

Jean Zay résistant ?

La panthéonisation de quatre personnalités « de la Résistance » (Geneviève De Gaulle, Germaine Tillon, Pierre Brossolette, Jean Zay) pose un problème récurrent : une victime de Vichy, de la Milice, des Allemands, un déporté, un otage fusillé… sont-ils des résistants ?

Pour avoir expliqué que Guy Môquet, fusillé, avec 16 autres internés, en représailles de l’attentat de Nantes en octobre 1941, n’était pas, n’avait pas pu être un résistant , nous nous sommes trouvés au milieu d’une polémique d’autant plus violente que l’arrestation du jeune Môquet en octobre 1940 — comme celle de beaucoup d’internés du centre de séjour surveillé de Choisel — pour propagande communiste alors que cette dernière attaquait essentiellement la « judéo-ploutocratie » (sic) britannique et le général de Gaulle « valet de la City », tout en prônant la fraternisation avec les soldats allemands, rappelait que le parti communiste, avant d’être « le parti de la résistance et des fusillés » et celui « des patriotes » comme il le revendiqua à la Libération, avait dénoncé la guerre impérialiste et erré entre tentations défaitistes et compromissions jusqu’à ce que l’attaque allemande contre l’URSS ne dissipe cet épisode glauque en juin 1941.  Les socialistes au pouvoir ne sont-ils pas en train — avec Jean Zay — de refaire le coup de N. Sarkozy avec Guy Môquet ?

S’il fut une cible essentielle et une victime de la haine de Vichy pour la République et les juifs, une victime de la Milice, une belle figure républicaine, Jean Zay, incarcéré de 1940 à sa mort, fut-il pour autant un résistant ?

On le sait, Jean Zay embarqua sur le Massilia pour continuer – du moins les parlementaires embarqués le pensaient-ils – la guerre depuis l’Empire et manifesta ainsi son refus de l’armistice imposé par le clan Pétain-Weygand-Darlan-Laval-Marquet-Chautemps-Alibert et consorts.

Après une condamnation à la déportation à vie (octobre 1940), emprisonné à Riom dans un régime de semi-liberté, il a participé aux comptes rendus clandestins du procès de Riom (2) qui se retourna contre les accusateurs et eut des contacts avec l’OCM (Organisation civile et militaire).

Il lui était difficile de faire davantage dans sa situation…

Or résister c’est agir, et François Marcot maître d’œuvre du Dictionnaire de la Résistance (Robert Laffont), rappelle que l’idée de Résistance est inséparable de l’action, mais nous savons par ailleurs que les faits de résistance ne sont pas nécessairement des actes de Résistance.

On peut donc à juste titre penser que d’autres incarnent davantage la Résistance et que Jean Zay est plutôt le symbole des haines qui rassemblaient l’extrême droite et une grande partie du personnel politique de l’État Français contre « l’antifrance » : juifs, francs-maçons, étrangers… 

NB : Le Cercle d’étude de la déportation et de la shoah. Amicale d’Auschwitz », a consacré un N° de ses « Petits cahiers » à « Jean Zay, une figure symbole de la République », Petit Cahier / 2e série / n°22 / Avril 2015 (à commander auprès de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie, 98 rue Montmartre, 75065 Paris Cedex 2 (15€)

*La SHPL est animée avec passion par un commissaire retraité, Michel Salager. Elle édite une Lettre : http://www.slhp-raa.fr/progs/UploadPci/Newsletter_2017_2018.pdf ]

(1) https://criminocorpus.hypotheses.org/92278

(2) https://www.lepoint.fr/histoire/proces-de-riom-comment-petain-s-est-tire-une-balle-dans-le-pied-16-10-2013-1744455_1615.php

Ce contenu a été publié dans Persécution des Juifs, Répression, Résistance / Maquis. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.