« Gestapo », de Pierre Dehillotte : un ouvrage de 1940 en accès libre sur le site de l’UQAC.

Proposé au téléchargement en accès libre par la Collection « Civilisations et Politique » des Classiques des Sciences sociales, le présent ouvrage, Gestapo, de Pierre Dehillotte est le premier en France à avoir été publié sur le sujet (Paris, Payot, col. « Mémoires, études et documents pour servir l’histoire militaire », février 1940).

http://classiques.uqac.ca/classiques/Dehillotte_Pierre/Gestapo/Gestapo.html

La présentation de Michel Bergès rend compte des rares informations concernant ce grand journaliste qui fut dès son plus jeune âge correspondant particulier et permanent de divers journaux à Berlin, Madrid, puis à nouveau Berlin, Prague et Varsovie, de 1911 à 1940. Elle a aussi tenté de préciser, au-delà de la recherche d’éléments biographiques épars, les conditions de l’arrestation le 21 juillet 1943 à Vallauris Golfe-Juan, de cet auteur qui sera déporté et mourra au camp de concentration de Buchenwald le 2 mars 1945, en raison de son engagement dans la Résistance.

Il s’avère que Pierre Dehillotte fut victime de dénonciation auprès des services allemands de Renseignements (Abwehr et SD réunis) de la part d’un des plus importants agents recruteurs du SR français, Rudolph Lemoine (allemand naturalisé). Drame qui rejoint un des moments les plus ambivalents et tristes de l’histoire de ces services, dont celui du contre-espionnage dirigé alors par le colonel Paul Paillole (cf. son ouvrage de référence, Notre espion chez Hitler, Paris, Nouveaux Monde Éditions, 2011).

Exemplaire apparaît sur plusieurs plans la description par Pierre Dehillotte de ce que fut empiriquement la Gestapo, ainsi que son réseau tissé mondialement, qu’il fit connaître au début de 1940 à l’ensemble du pays (notamment donc à ses élites littéraires et politiques, Pétain en tête), avant l’invasion de la France. Au regard de sa précision, personne ne put dire, à la suite, qu’« il ne savait pas ».

Ce qui nous interroge là sur l’ensemble des politiciens revanchards qui allaient se prendre à différents degrés dans les filets de « la collaboration » avec Hitler et les forces nazies d’occupation… le régime dit « de Vichy » et Pétain compris, dès le mois de juin 1940, bien avant la rencontre inutile de « Montoire », le 24 octobre suivant…

Surtout, l’ouvrage apparaît très précieux de par sa conclusion théorique, qui fait principalement du parvenu Hitler, non un « homme d’État » ou un « chef de Parti », mais un « policier » délateur, manipulateur, puis un criminel particulièrement inquiétant. Et qui, en finale, après avoir « joué » jusqu’à ses proches complices en tant que chef de bande sans foi ni loi et sans vergogne, revêtit les oripeaux d’un « grand conquérant gengiskhanien », meneur de batailles contre l’ensemble du monde, prisonnier de sa folie wagnérienne !

À l’instar de certains de ses collègues envoyés permanents de grands quotidiens français en poste dans le Reich – tel son ami Georges Blun, du Journal, honorable correspondant (« HC ») du SR français –, et souvent à son propre péril comme à celui de sa famille, Pierre Dehillote put recueillir secrètement les confidences de victimes immédiates et de repentis de l’hitlérisme. Il demeura par exemple le voisin à Berlin de Gregor Strasser, un ancien compagnon d’Hitler au Nsdap, fort de révélations auprès de lui avant son assassinat lors de « la Nuit des Longs couteaux » de juillet 1934 – le fils de Dehillotte jouant jusque-là dans les jardins réciproques de leurs maisons mitoyennes avec les enfants Strasser… Source interne précieuse pour le correspondant particulier du Journal des Débats !

La théorie du nazisme de Pierre Dehillotte, d’une lucidité hors du commun, comme sa description minutieuse de l’hitlérisme, ignorées par l’historiographie ultérieure de façon incompréhensible (!!!), méritaient cette réédition en libre accès, utile pour la pédagogie des générations futures.

Modeste contribution pour éclairer une aventure lourde d’inhumanité qui a trompé une large partie du peuple allemand, un temps en déshérence sociale, économique, politique, intellectuelle et morale, mais tout autant une partie de la France d’alors : celle aveugle, sourde, ou complice par rapport à de telles révélations, « en deçà » de la parution de cet ouvrage comme de nombreux autres qui dénoncèrent les illégalismes et les crimes incessants du nazisme, depuis au moins fin janvier 1933…

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