Le partage des milliards de la Résistance, l’attaque du train de Neuvic-sur-l’Isle : une nouvelle édition augmentée du livre de Jean-Jacques Gillot

L’attaque, en gare de Neuvic-sur-l’Isle (Dordogne), le 26 juillet 1944, d’un train qui transportait des sacs de billets de la Banque de France pour une valeur de 2 milliards 280 millions de francs de l’époque (environ 440 millions d’euros actuels), a fait l’objet récemment de plusieurs documentaires TV et émissions de radio.

Jean-Jacques GILLOT a jugé qu’il était temps de rééditer l’ouvrage qu’il avait publié sur ce sujet avec Jacques LAGRANGE en 2004, qui retraçait l’enquête rigoureuse et complète des deux auteurs pour savoir ce qu’il en était advenu de ces fonds. La nouvelle édition (Chez Les livres de l’Ilôt, à Neuvic-sur-l’Isle), est augmentée de nouveaux témoignages et documents collectés récemment.

La même année, d’autres opérations du même genre eurent lieu sur l’ensemble du territoire. Elles sont moins connues que la précédente. Mais dans ses Mémoires de guerre, le chef de la France libre estimait à quinze milliards de francs le montant des « fonds réquisitionnés par les chefs locaux pressés par la nécessité ». Très vite, cependant, l’essentiel des magots échappa au contrôle de la Résistance armée. Quelques rares élus nationaux d’après-guerre demandèrent des enquêtes, mais les rapports disparurent,  les juges prononcèrent des non-lieux, les parlementaires les plus déterminés s’épuisèrent. Pourtant, tout était écrit, tout existait bien. Afin de savoir, il importait donc d’aller à la recherche et de découvrir des centaines de dossiers recélés dans les archives publiques ou privées, de rencontrer des témoins longtemps négligés.

Soixante ans après les faits, Jean-Jacques Gillot et Jacques Lagrange, déjà auteurs de L’épuration en Dordogne selon Doublemètre, avaient accompli ce parcours. Désormais, de nouveaux éléments viennent compléter leur ouvrage initial pour dévoiler les visages des politiciens et des affairistes peu scrupuleux qui avaient agi en sous-main.

Les auteurs

Jean-Jacques Gillot est le fils aîné d’un très jeune marin de la France libre à l’époque où ses grands-parents soutenaient l’Armée secrète. Maître en droit, diplômé en sciences politiques, docteur en histoire contemporaine et officier de réserve, il a été cadre supérieur et directeur d’établissements d’une grande entreprise publique. Auteur, co-auteur et directeur de recherches d’une dizaine d’ouvrages appréciés par des universitaires de renom, il est membre fondateur de l’association pour une Histoire scientifique et critique de l’Occupation (HSCO).

Jacques Lagrange était le fils d’un cheminot et précoce résistant qui démissionna du Parti communiste après-guerre. Alors adolescent, il avait vécu les temps de l’Occupation et ceux de la Libération. Récemment décédé, il a été un auteur soucieux  d’aller toujours plus loin dans la recherche de la vérité historique, un éditeur d’excellente réputation et un pilier de la Société historique et archéologique du Périgord autant qu’il fut journaliste, chef d’entreprise et maire adjoint de Périgueux en charge du patrimoine pendant trois mandats successifs. Cette édition est un nouvel hommage à sa mémoire.

Le livre peut être commandé chez l’éditeur : http://leslivresdelilot.fr/index.php?id_product=76&rewrite=le-partage-des-milliards-de-la-resistance&controller=product&id_lang=1

Prix : 20,00 € + 8 € de frais d’envoi – Attention : sur d’autres sites, c’est souvent l’édition de 2004 seulement que l’on peut trouver !

Presse : La Dordogne libre du 15.5.21

Ci-dessous la préface de Jean-Michel ADENOT (Elle peut également être téléchargée ici Préface JM Adenot pour Le Partage des Milliards de la Résistance JJ Gillot)  

Préface « Le partage des milliards de la Résistance – L’attaque du train de Neuvic-sur-l’Isle » de J LAGRANGE & J-J GILLOT

Par Jean-Michel ADENOT, Président de l’association HSCO, pour une Histoire Scientifique et Critique de l’Occupation.

Depuis 2014, l’association HSCO regroupe des historiens et amateurs soucieux d’échanger autour de leurs expériences de recherche et de mutualiser l’audience globale de leurs travaux. Eclairer sans complaisance les « angles-morts » de l’Histoire en dépassant une écriture trop strictement hexagonale, en finir -respectueusement- avec une certaine paralysie analytique conditionnée par le poids de témoignages prétendument irréfragables ouvre de nouvelles perspectives pour l’historiographique de la période.

VERBA VOLANT, SCRIPTA MANENT ! (Horace)

Les paroles s’envolent, les écrits restent. Et c’est heureux pour l’histoire, comme le montre la belle et savoureuse enquête à laquelle s’étaient livrés Jacques LAGRANGE (†) et Jean-Jacques GILLOT il y a maintenant plus de 16 ans et qu’il vous est proposé de redécouvrir dans une réédition sensiblement augmentée. Le parcours de ces « milliards de la Résistance » avait déjà été largement éclairé par ces deux chercheurs obstinés, références archivistiques en mains, pointant les nombreuses zones d’ombre des procédures officielles et montrant à la fois l’énormité des sommes en jeu, la diversité de leurs destinataires plus ou moins occultes et l’évidente omerta qui avait officiellement enterré ces affaires. Neuvic-sur-l’Isle, cas le plus emblématique, pourrait directement inspirer une production hollywoodienne.

Pourtant, la légende et la puissance de l’imagination ont failli triompher. En effet, l’attrait exercé par ce bien réel « plus grand casse du siècle[1] » (2 280 000 000 francs de 1944, soit 350 000 000 euros actuels, entièrement en espèces) a incité nombre d’études et œuvres de fiction, les contours historiques, juste ébauchés par Henri AMOUROUX, étant posés successivement par l’ancien policier Guy PENAUD en 2001 puis plus fermement encore par le tandem LAGRANGE-GILLOT trois ans plus tard. Que « l’attaque du train de la Banque de France » -en réalité les 4,5 tonnes de billets tiennent dans un unique petit fourgon- puisse motiver les romanciers n’a rien d’étonnant. Ce magot n’était composé, comme nous l’avons rappelé, que de banales liasses conditionnées en 150 sacs plombés. Une montagne de papier. Par conséquent, point d’or à Neuvic malgré le titre d’un « roman vrai » de 2013. Le bât commence à blesser un peu plus lorsqu’un récent documentaire d’une télévision nationale reprend des éléments fabulés et non la réalité factuelle, pourtant accessible. Faut-il se contenter d’aspects anecdotiques en mode Far West assaisonnés d’assertions lénifiantes d’un historien confirmant aux auditeurs que ces fonds, globalement, ont bel et bien servi à financer la cause de la Résistance ? C’est que Jacques LAGRANGE et Jean-Jacques GILLOT ne parvenaient pas exactement aux mêmes conclusions, que ce soit pour Neuvic-sur-l’Isle ou pour les autres « casses » réalisés par les FFI, notamment à Clermont-Ferrand, Libourne, Nîmes ou Villeneuve-sur-Lot. Après tout, jusqu’où s’étend le périmètre de ces « financements de la Résistance » ?

Il était donc indispensable de rééditer cet ouvrage, belle occasion pour Jean-Jacques GILLOT d’affiner sa démonstration et même de nous présenter quelques clichés illustratifs aussi inédits que révélateurs.

Quelques mots s’imposent d’entrée pour situer la dimension financière inédite desdits braquages et surtout celui de Neuvic-sur-l’Isle. La somme qui y est détournée par le maquis, montant historique de 2,28 milliards de francs comme nous l’avons souligné, correspond à 54% du total des « récupérations » réalisées par la Résistance auprès de la Banque de France. De ces sommes colossales, un bon tiers ne trouve pas de destinataire(s) identifié(s)[2]. Les transferts de millions et même de centaines de millions évoqués dans l’automne 1944 semblent s’entourer d’une équivoque opacité. Alors que ses alliés libèrent la France, à quelles personnes et à quelles organisations peuvent bénéficier ces fonds ? Pour fixer les choses, on peut aussi rapprocher ces montants du total des remboursements effectués par l’Etat de 1945 à 1947 au titre des réquisitions (3 milliards de francs) ou en réparation des prélèvements en numéraire durant la guerre (1,4 milliards). On peut enfin évoquer le total de la masse monétaire en circulation soit 142 milliards de francs en 1939, chiffre enflant vers 632 milliards en octobre 1944. L’ardeur de la planche à billets menaçant la sacro-sainte confiance, ce montant est ramené au forceps à 574 milliards en mars 1945. Ce qui n’empêche pas la plupart des Français de manquer de tout. A Neuvic-sur-l’Isle, les pertes en ligne ne tiennent donc pas d’une quelconque épaisseur du trait.

L’épisode du braquage proprement dit est rapidement expédié par les auteurs. Pour tout dire, il ne rappelle en rien certains engagements martiaux et mitraillants de la Résistance, l’opération se déroulant dans la banalité la plus absolue sur un quai de gare à Neuvic-sur-l’Isle, sans qu’un seul coup de feu soit tiré et avec signature d’un bon de décharge par « Kri-kri », le chef du commando. Contrairement au suivi des fonds, ce bon tiré d’un carnet à souche imprimé par l’intendance FFI est parvenu jusqu’à nous, valorisant les 150 sacs à 10 francs l’unité. Soit une somme globale non recomptée et inscrite en confiance de 2 280 001 500 francs. Passons sur la complicité active du préfet vichyste CALLARD, qui saura en tirer un opportun sauf-conduit personnel, ainsi que sur la compréhension de l’administration bancaire. Rappelons que les faits se déroulent le 26 juillet 1944, un petit mois avant la libération de la Dordogne. Et pourtant, les très redoutés Allemands semblent absents de l’affaire. Parfois dangereux, avec quelques opérations de représailles meurtrières de la part du SD, ceux-ci[3] ont déjà renoncé à contrôler les campagnes. Pas encore totalement libres sur le terrain, les différentes obédiences résistantes agissent et surtout s’observent. Elles préparent activement la mise en œuvre de lendemains voulus chantants. Entre ces groupes armés bigarrés, imaginatifs et revendicatifs, on se surprend à assister à la mise en route chaotique de la nouvelle administration républicaine. A l’ombre des derniers occupants, les services du préfet du maquis commencent à fonctionner … à défaut de tenir une comptabilité rigoureuse. Quel contraste, pour le préfacier, avec la politique nazie de l’automne 1944, la mise en œuvre planifiée de la « terre brûlée », les déportations massives et la répression dans la montagne vosgienne qui, par son intensité, annihile toute velléité résistante !

Notre propos ne consistant pas à divulgâcher ce qui suit, on comprendra que l’essentiel du travail de Jacques LAGRANGE et Jean-Jacques GILLOT se situe en aval de l’épisode ferroviaire. Reconstituer la traçabilité de ces 150 sacs n’était manifestement pas la priorité des gouvernements successifs. Sur ce point, la réputation du général de GAULLE reste sans tache. En effet, lorsqu’il est informé de l’affaire, il s’émeut, ordonne une enquête, malheureusement dix jours avant de quitter le pouvoir. Nous sommes en 1946. Seules quelques rares individualités semblent tenter de faire la lumière sur l’affaire, dont le tenace député Pierre de LEOTARD, en butte à d’évidentes manœuvres d’étouffement des gouvernements successifs. Plus tardivement, l’inspecteur de police CARCAUD finit par enquêter, mais dans un périmètre que l’on devine contraint. Il n’en remet pas moins à la justice un dossier conclusif de plus de 500 pages, à charge d’un accusé unique dont nous laisserons chacun se faire une idée du parcours.

Malgré l’abondance de notes explicatives actualisées, cette enquête à nouveau proposée au lecteur est largement restée « dans son jus », pour reprendre les éléments de langage des collectionneurs. Cette patine ancienne ne nuit pas à la clarté de la démonstration et nous rappelle qu’au final, le début des années 2000 était une période faste pour les chercheurs qui souhaitaient aboutir. En effet, si les archives[4] (scripta …) restent, les témoins (verba …) disparaissent. Encore nombreux à l’époque, amplement questionnés par Jacques LAGRANGE et Jean-Jacques GILLOT, d’anciens protagonistes ou leurs proches apportent confirmations ou démentis, tous disséqués finement. Avec la disparition de la plupart de ces déposants, c’est une nouvelle page qui s’est refermée. Ce volet de l’enquête n’est plus reproductible, contrairement à la consultation des archives et de la bibliographie, mais le texte de cette version augmentée n’a fort heureusement rien perdu de son caractère. Et pour tout dire de sa saveur. Sans modifier sensiblement les premières conclusions, d’ultimes précisions sont apportées dans cette réédition revue et augmentée. Ainsi le portrait du dernier trésorier du MLN n’en devient que plus précis. Est-il encore possible d’aller plus loin dans cette recherche ? C’est probable et, comme toujours en matière d’histoire, très souhaitable même si l’essentiel nous semble désormais acquis.

La réalité mise à nu par les auteurs ne manque ni d’originalité ni de piquant. Ne mérite-t-elle pas d’être préférée à la fiction ? Pour l’attaque du train de la Banque de France à Neuvic-sur-l’Isle, nous ne suivrons pas John FORD et sa conclusion de L’Homme qui tua Liberty Valance : « On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende ».

Publions, cette fois, la réalité !

Jean-Michel ADENOT

[1] Par comparaison, l’affaire du train Glasgow-Londres de 1963 est huit fois moins importante. Quant à la bande d’Albert SPAGGIARI, avec son casse du siècle à Nice, n’avait réussi à prélever « que » l’équivalent de 30 millions d’euros (actuels) dans les coffres de la Société Générale soit dix fois moins qu’à Neuvic.

[2] Les auteurs décortiquent ce taux de « perte en ligne » moyen et confirment une appréciation succincte du général de GAULLE dans ses Mémoires. Neuvic-sur-l’Isle respecte cette proportion.

[3] Le terme « Allemand(s) » revient seulement une vingtaine de fois dans le texte

[4] Les auteurs avaient réussi à accéder à de nombreux fonds d’archives. Ce n’était pas toujours le cas avant les dispositions du 24 décembre 2015. Malheureux retour des choses, une application trop bureaucratique du « secret-défense » vient à nouveau contrarier la libre communication de certains documents.

 

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