Journal d’une pétainiste – Interview de Philippe Laborie par Gilles Antonowicz

 

En octobre 2020, Philippe LABORIE, professeur d’histoire dans le Vaucluse, publiait aux Editions PUG le Journal d’une pétainiste. Un vrai journal intime, rédigé sur des cahiers d’écolier, celui que Monique Guyot, une habitante du Vercors, a tenu en 1944-1945.

Philippe Laborie a pris soin de précéder le Journal d’une longue présentation et, tout au long du livre, de nombreuses notes apportent explications complémentaires et commentaires bien utiles pour situer dans leur contexte les événements dont parle la diariste.

Pétainiste affirmée, mais pas « collabo », pas dénonciatrice, détestant tout autant l’occupant que les communistes, méfiante envers les maquisards, cette jeune femme de 38 ans, dynamique, sportive et courageuse, ne laisse pas indifférent.

Gilles ANTONOWICZ a interviewé Philippe LABORIE.

Comment avez-vous découvert le journal de Monique Guyot ?

En février 2017, alors que je poursuivais mes recherches sur le maquis du Vercors dans les archives de l’Isère, je découvris dans le fonds de témoignages collectés par les historiens Paul et Suzanne Silvestre, le journal de Monique Guyot. Il était écrit à la plume violette sur 7 petits cahiers d’écoliers entre janvier 1944 et mai 1945. Ces documents étant issus d’archives familiales, ils étaient non consultables depuis leur dépôt en 1987, soit 30 ans. J’étais donc le premier à pouvoir lire ce récit peu courant d’une femme sur la période de l’Occupation et de la Libération.

Qui était-elle ? Où habitait-elle ? Quelle était sa profession ?

Monique Guyot avait 38 ans en 1944, elle était née dans l’Isère mais sa famille avait des terres en Tunisie. Elle était issue d’une famille bourgeoise, elle vivait de leçons de piano et de solfège à Villard-de-Lans où elle tenait aussi avec sa mère une pension d’enfants : la pension Ste Marie. C’était une femme célibataire, avec un caractère extrêmement affirmé, considérant qu’une femme avait autant le droit qu’un homme d’avoir des idées politiques. Elle adoptera après la guerre un enfant, le petit Marcelin, à qui elle consacrera le reste de sa vie.

Vous avez intitulé votre livre “Journal d’une pétainiste”. Ce titre peut apparaître comme provocateur. Comment faut-il l’entendre ? En quoi, Monique Guyot était-elle “pétainiste” ? Que recouvre historiquement ce terme qui, aujourd’hui, équivaut quasiment à une injure ?

Le choix du titre « Journal d’une pétainiste » est apparu, au fil de mon travail de recherche sur la vie et les idées de Monique Guyot, comme une évidence. Tout simplement parce que l’auteure du journal assume parfaitement sa fidélité envers le Maréchal Pétain. Le 29 août 1944, elle déclare qu’elle est une « pétainiste convaincue, une légionnaire de la première et de la dernière heure ». Tout au long de son récit sur cette période difficile, elle veut montrer que Pétain est bien le seul chef qu’il faille suivre, que la Résistance risque d’amener le Communisme et que la libération de la France aboutira inévitablement à la domination des Américains sur l’Europe. A travers ses idées, se dessine un « pétainisme » particulier, elle déteste les Allemands, méprise les personnes adeptes de collaboration, mais se méfie d’une Résistance en qui elle ne voit que le désordre, alors que l’image du Maréchal Pétain est la garantie selon elle des valeurs d’ordre et de discipline. Chez Monique Guyot Il s’agit d’un Maréchalisme, d’un légitimisme total. Mon travail d’historien, était de contextualiser ses propos afin de comprendre l’univers mental de cette femme dans une époque donnée et dans le lieu particulier du massif du Vercors.

La position de Monique Guyot dans ce Vercors nous apparaissant comme l’un des plus grands foyers de la résistance française, était-elle particulière, singulière, isolée, ou bien, à l’inverse, était-elle, sinon partagée par d’autres, du moins acceptée ?

Les journaux féminins écrits pendant la 2ème guerre mondiale sont rares et la vision de la guerre et de l’Occupation sous le prisme du Pétainisme encore plus. C’était à la Libération, et plus encore depuis, un point de vue difficile à présenter et à publier. Pourtant, nous savons grâce aux enquêtes menées par les instituteurs de l’Isère vers 1945 que les relations entre la population et la Résistance ne furent pas toujours faciles. Il y eut certes un soutien important des paysans pour le ravitaillement et parfois un engagement lors de combats, mais une partie non négligeable d’habitants de certaines communes restèrent fidèles à Pétain sans pour autant participer à la Collaboration. La méfiance d’une partie de la population à l’égard de la Résistance s’est souvent accentuée après juin 1944 lorsque les représailles allemandes touchèrent directement les habitants du massif. C’est cette colère étouffée de certaines familles endeuillées que l’auteure du journal a voulu transmettre.

Le Vercors a été libéré à la fin du mois d’août 1944. Compte tenu de ses sentiments, Monique Guyot a-t-elle souffert de l’épuration ?

Les règlements de compte dans le massif entre Résistants et les personnes soupçonnées d’être favorables à la Collaboration débutèrent bien avant la Libération. Cette épuration « sauvage » extrajudiciaire peu connue est évoquée par Monique Guyot comme une preuve de la brutalité des Résistants dont elle se méfie. Bien qu’au courant de beaucoup de choses puisque la ferme qu’elle avait achetée en 1943 se trouvait au milieu de nombreux camps de maquisards, Monique Guyot ne dénonça jamais personne. Elle ne cachait pas son souhait du départ des Allemands, elle racontait qu’elle avait un neveu arrêté par la Sipo-SD. Les fermiers du Vercors l’appréciaient et il était notoire que ses 2 frères étaient résistants. Ainsi malgré toutes les incertitudes de l’après-guerre, elle ne fut jamais menacée ou poursuivie malgré son indéfectible attachement à Pétain.

Le journal s’achève neuf mois plus tard, en mai 1945. Monique Guyot a-t-elle durant cette période modifié son opinion sur le maréchal Pétain ?

Non, son admiration pour le Maréchal Pétain se poursuivra bien au-delà de la Libération. Son fils me dira que sa mère est restée fidèle à Pétain jusqu’à sa mort et qu’il ne fallait pas le critiquer. Pour l’auteure des cahiers, le résultat des dévastations du Vercors et le massacre des civils viennent des provocations de la Résistance envers un adversaire bien plus puissant. Selon elle, Pétain avait mis en garde la population des risques de représailles. Elle ne voit dans les actions héroïques des Résistants que des entreprises dangereuses, lourdes de conséquences. Au moment du départ des Allemands, elle redoute fortement que la Libération aboutisse à une révolution communiste. Selon elle, le principal responsable de cette situation est de Gaulle qui a créé la division des Français pour ses propres intérêts. Monique Guyot était convaincue de détenir la vérité sur l’histoire du maquis du Vercors, une réalité cachée et c’est sans doute pour cela qu’elle a voulu confier son point de vue, écrit dans son journal, aux historiens Silvestre. Ce témoignage est d’une grande richesse pour la connaissance de l’opinion pendant la guerre et de sa complexité, c’est aussi une excellente approche de la façon dont un témoin peut interpréter l’Histoire.

Pour lire les premières pages et commander le livre : https://www.pug.fr/produit/1876/9782706147173/journal-d-une-petainiste-vercors-janvier-1944-mai-1945

 

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