Deux assassinats… L’affaire Pibouleau.

Ville d’Avray – Entrée du Parc de Saint-Cloud – carte postale ancienne – Geneanet

Par Luc RUDOLPH.

       Quand, dans la nuit du 4 au 5 juillet 1944, les sbires de la « Gestapo française » de la rue Lauriston, « exécutent » les époux Pibouleau, dans un coin de Ville d’Avray (Yvelines), ils ne sont que les metteurs en scène des basses œuvres d’un réseau de Résistance. † Louis Jean Pibouleau[1] est né en 1912 à Marseille (Bouches-du-Rhône). Fils d’un officier, il devient inspecteur de police dans sa ville natale en 1937. Il n’accepte pas la capitulation de la France et s’associe en 1941 à l’activité résistante du commissaire Auguste Clary, pour lequel il est agent de liaisons, et à celle du groupe Motard dirigé par l’officier de paix Marcel Reynoard, dont les membres seront plus tard intégrés dans Ajax. Puis il adhère au réseau Radio-Patrie, où il est Branly ou Branlin Louis. Quand l’organisation est anéantie, en 1943, il parvient à échapper à l’arrestation en soustrayant, lors de l’opération, des documents le mettant en cause. Pibouleau était en effet actif comme agent de renseignements, dans la détection des collaborateurs et des agents allemands, mais était aussi un opérateur radio de son réseau. Ses premiers employeurs sont tous particulièrement élogieux sur l’enthousiasme patriotique de leur recrue. Il rejoint alors le réseau Marco-Polo, zone sud-est, sous les ordres de Raymond, avec son épouse Juliette James (née en 1921).

Marco-Polo[2] est un réseau d’action, de renseignements et d’évasion créé en novembre 1942 par le capitaine de frégate Pierre Sonneville, rappelé en Angleterre en avril 1943. Lui succèdent Paul Guivante, puis René Pellet. Ce réseau à la forte activité connaît de graves et récurrents problèmes de sécurité dès la mi-1943 et perdra 165 agents sur 929.

       Pibouleau oeuvre aussi pour Ajax, dès sa création, au sein duquel il est Uranus, RZ 403[3]. Marco-Polo prend rapidement le dessus, et engage le policier comme agent de renseignements. Puis, intéressé par la compétence rare du policier, le recrute comme chef-radiotélégraphiste. Il devient agent permanent du réseau et abandonne son emploi d’inspecteur en août 1943 au prétexte d’une maladie. Il met en place un poste émetteur dans le Rhône, où il travaille pour le chef intérimaire du réseau national, Octave Pellet. Les résultats sont médiocres, compte-tenu de la qualité très insuffisante de l’équipement. De son côté, Juliette Pibouleau devient un agent de liaisons essentiel de Marco-Polo dans un vaste ressort du sud-est de la France, où elle accomplit de multiples missions. Elle aussi était agent P2 rémunéré. Elle partage cette activité avec le rôle de maîtresse de Raymond, le responsable régional du réseau, sous l’œil bienveillant de son mari. L’efficacité malgré tout reconnue du policier le fait accéder au rang d’officier : son réseau l’envoie au Mans, avec pour mission d’y devenir le responsable radio du secteur, le centre Baobab[4], et de développer celui-ci. Le matériel qu’il reçoit alors s’avère aussi défectueux que rare, et la mission de l’ancien policier s’étiole, malgré ses nombreuses relances vers un réseau frappé d’inefficacité en raison d’une situation d’insécurité chronique, victime de multiples coups durs, révélateurs d’autant de failles et de trahisons.

       Il est alors envoyé à Tours, dans le même objectif, guidé par l’inspecteur Petitfils. Privé de matériels, systématiquement capturés par les Allemands dès leur largage sur le sol français, Pibouleau s’ennuie. Il commet à partir de là une double imprudence. Pour rester utile à son réseau, il lance son équipe dans une activité de recherche de renseignements pour laquelle il n’était pas mandaté, faisant l’acquisition sur ses fonds affectés d’un appareil photo. Egalement, malgré le retour occasionnel et non-autorisé de sa femme à ses côtés, il « fait la vie » avec des demi-mondaines, y consacrant de l’argent du réseau, en compagnie de son collègue, Charles Petitfils, qui se fera ultérieurement son accusateur. Rappelé à l’ordre, Pibouleau revient en mai 1944 à Lyon s’expliquer devant Octave et faire amende honorable, avant d’être envoyé vers Paris. Son sort est alors déjà scellé, même s’il n’est à ce moment jamais accusé directement d’avoir provoqué l’arrestation et la mort d’agents, faits qui « justifieront » son « exécution » : il est soupçonné, sans aucune preuve, d’être à l’origine des nombreuses arrestations qui se sont poursuivies dans le secteur ouest -à Tours-, où il séjourna.

       Quand les corps des époux Pibouleau sont trouvés, chemin de la Ronce, en bordure du Parc de Saint-Cloud à Ville d’Avray, le 5 juillet vers zéro heure, c’est que le meurtre des deux conjoints a été observé par un témoin, Joseph Van Raalte, qui, de son domicile a vu arriver un véhicule, le 4 vers 23 heures, dont quatre occupants ont assassiné les deux autres : Louis et Juliette ont été abattus de trois coups de pistolet dans la nuque. Morts pour rien…

       Les auteurs ne sont pas difficiles à identifier, quelques mois plus tard : membres[5] de la « Gestapo » française, ils sont, pour leurs agissements en son sein, emprisonnés. Ils se prévalent alors de leur activité « résistante » au sein de Marco-Polo, et il apparaît vite que c’est sur l’ordre du responsable du réseau nord, le capitaine Hardiviller Michel, que le couple de Marseillais a été tué. La suite de l’enquête révélera que cet officier n’a été que l’instrument de la mise en oeuvre d’une décision prise collégialement par la direction du réseau. => Lire la suite et télécharger l’article entier en PDF : Deux assassinats… l’affaire Pibouleau.vdef.L.Rudoph

[1] SHD GR 28P4 130 27 Paul Bert, Jean Clémentin, Jacques Iseger, Uranus, Urbain.

[2] SHD GR 17P 164.

[3] Son immatriculation dans le réseau.

[4] Qui relevait aussi d’Eleuthère.

[5] Il s’agit de Robert Gourari, Jean Sartore et Abel Danos (les noms de Charles Cazauba et d’Amerlot sont aussi évoqués), le célèbre Mammouth…. Ils auraient, à la demande d’Hardivillier, commis une semaine avant, un autre meurtre/exécution : celui d’Odette Andrieux-Martineau.

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