Epuration en Dordogne : retour sur Urbanovitch alias « Doublemètre »

(source photo : mémoire-résistances.dordogne.fr/retouche photo : aa. martineau)

(source photo : mémoire-résistances.dordogne.fr/retouche photo : aa. martineau)

URBANOVITCH Andrj, dit « André » par Jean-Jacques Gillot (membre fondateur de l’association HSCO)

Chef opérationnel de l’épuration violente en Périgord

2 janvier 1910, Velicki-Bekereck (Serbie, empire austro-hongrois)

Fils de bonne famille. Émigré yougoslave d’ascendance juive et hongroise, en 1930. Polyglotte, étudiant en droit, escrimeur protégé par le préfet de police Jean Chiappe, à Paris. Devenu publicitaire à Courbevoie (Seine) avec la petite-fille du prince russe Kropotkine, il avait connu les époux Larat, originaires de Saint-Saud-la-Coussière, lors de ses études à la Sorbonne.

Personnage aussi opportuniste que doté de facultés intellectuelles et physiques bien au dessus de la moyenne et longtemps tenu pour suspect par les autorités. Deux fois marié à des filles de la société bourgeoise installée, père officiel de deux fils mais aussi, et pour le moins, d’une fille qu’il ne reconnut jamais. Engagé dans un régiment de volontaires étrangers, sitôt la déclaration de guerre, il suivit une formation d’officier au camp du Barcarès (Pyrénées-orientales). Combattant lors de l’offensive allemande de mai-juin 1940, il fut pris sur la Loire mais s’évada rapidement du Frontstalag de Longvic (Côte-d’Or). Réfugié en Périgord Vert après être passé par Paris, d’abord oisif puis affecté aux groupements de travailleurs étrangers de la vallée de l’Isle, il fut l’intime de nombre de compagnes de rencontre. Entré à l’Armée secrète, en forêt du Landais, en 1943, puis passé aux FTP de la Double, au grade lieutenant et sous le nom de guerre de « Doublemètre » qui allait lui coller à la peau. Quasi commissaire politique car décrit comme faisant l’article marxiste auprès des jeunes maquisards. Intrépide dans des circonstances difficiles, comme lors de l’attaque d’un train allemand, à Mussidan, le 11 juin 1944. Il prit aussi part à une action contre la prison de Bergerac, le 29 juillet suivant, qui permit de délivrer une quarantaine d’internés politiques communistes.

Au cours de ses fonctions épuratives, il organisa et prit part à l’enlèvement du contre-amiral Platon, ancien ministre de Vichy et partisan ouvert de la répression contre le maquis, à la fin juin 1944. Celui-ci fut condamné à mort par un « tribunal révolutionnaire » présidé par le pseudo-résistant Yves Péron alors qu’Urbanovitch tint le rôle d’avocat pour la seule et unique fois de sa vie. Platon fut seulement fusillé le 28 août 1944, après la libération du département. Chef d’orchestre très opérationnel de l’épuration violente de l’été de la Libération et resté sous la férule de Péron, c’est l’historien Jacques Lagrange qui fut l’un des premiers chercheurs à indiquer qu’Urbanovitch avait eu des donneurs d’ordres politiques. En septembre 1944, le nouveau capitaine FTP assura également le transport à Paris de près d’un milliard de francs de l’époque (180 millions € actuels) sur les 2.280 millions pris au détriment de la Banque de France, dans un train, en gare de Neuvic-sur-l’Isle, le 26 juillet précédent.

Vingt ans après guerre, l’aventurier fut doté d’états de services extravagants par les soins de Roger Ranoux, prétendu ancien « chef départemental des FFI ». Telle une aussi précoce que mythique résistance à Paris, en 1940. Ou bien une attaque contre les Allemands, au pont de Castillon (Gironde) au cours de laquelle Urbanovitch aurait tué douze ennemis à lui seul. Engagé au 151e RI, le « régiment rouge » de Paris, l’aventurier fut membre des services de renseignements de l’armée, en Alsace, au début 1945. Pour autant, poursuivi pendant plusieurs années par cinq juges d’instruction militaires successifs et momentanément emprisonné, il fut élargi par les soins d’André Malraux.

Bénéficiaire des larges lois d’amnistie, protégé par l’omerta de l’époque et de complices appuis, il se sortit d’affaire par un non lieu des plus discutables, nanti de la Légion d’honneur, de la croix de guerre et de la rosette de la Résistance. En 1948, Christiane Couturoux, fille du chef AS René Couturoux, écrivit à l’ancien pilote américain Joel Mac Pherson pour le dissuader d’établir une recommandation à Doublemètre en lui faisant savoir « Urbanovitch est un homme dangereux » alors qu’elle décrivit la veuve de Pierre Lanxade, véritable ancien chef militaire FTP tué au combat, comme « une amie de la famille ». Formé par Pierre Worms, critique d’art réfugié en Périgord entre 1940 et 1944, l’ancien maquisard devint un marchand de peintures reconnu, installé rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris. Dirigeant de l’association des « officiers de réserve républicains » du 17e arrondissement, il revint sous la surveillance des services de police parisiens pour ses affinités idéologiques et ses potentielles responsabilités dans le cadre d’un projet d’insurrection prêté au parti communiste.

En 1956, après l’écrasement du soulèvement hongrois, il fit partie des nombreux intellectuels à rompre avec le PCF et démissionna de l’association France-URSS. Longtemps veillé par Florence Larat, sa fille cachée, il mourut de maladie dans son hôtel particulier du VIIe arrondissement, le 31 décembre 1979. Ce fut après une vie d’excès et de paillettes sentencieusement narrée à son avantage par le peu regardant Who’s who puis ingénument reprise par la presse sitôt son décès.

Pendant la guerre d’Algérie, l’un de ses fils fut un parachutiste qui prétend avoir été décoré par Mitterrand. Désormais, son petit fils exerce la profession artistique de son aïeul dans le même quartier parisien que lui. Pour tout dire, Urbanovitch se serait certainement très bien entendu avec un autre lettré, colosse et flambeur comme lui si celui-ci n’était pas né un siècle avant lui. On sait en effet qu’Alexandre Dumas avait fait fortune par son art et collectionné les conquêtes féminines.

Sources :

  • centre d’archives contemporaines de Fontainebleau, « fonds de Moscou »
  • archives de la préfecture de police de Paris ; dossiers des officiers FFI, service historique de la Défense, Vincennes
  • archives départementales de la Dordogne
  • archives de la justice militaire, Le Blanc (Indre)
  • entretiens avec Florence Larat (†), Philippe et Roland Urban, enfants de l’intéressé
  • entretien avec Alexandre Urban, petit-fils de l’intéressé
  • Lagrange, 1944 en Dordogne
  • Gillot et Lagrange, L’Épuration en Dordogne selon Doublemètre et Le Partage des milliards de la Résistance
  • Gillot, thèse et Les Communistes en Périgord
  • Gillot et Maureau, Résistants du Périgord
  • Gillot, Chroniques des années de guerre en Périgord)
  • Beaubatie, Gillot et al., Le Périgord d’une guerre mondiale à l’autre
  • Gillot, Le maillon rouge, à paraître)

Pour aller plus loin : L’Epuration en Dordogne selon Doublemètre, Jean-Jacques Gillot et Jacques Lagrange, ed. Pilote 24, 2002

epuration-dordogne-doublemetre-gillot-lagrange

 

Ce contenu a été publié dans Epuration, Résistance / Maquis, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

1 réponse à Epuration en Dordogne : retour sur Urbanovitch alias « Doublemètre »

  1. Ping : « ON L’APPELAIT DOUBLEMETRE », un livre de Jean-Jacques Gillot et Jacques Lagrange | HSCO

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.