La légende de Godfrey Loder, épisode 2

Par Michel Martineau.

Cet article est la suite d’un article d’A. Martineau, publié sur le site de HSCO en 2016 : A la recherche du mitrailleur RAAF Loder épisode 1 : tout vient à point à celui qui cherche.

Le sergent mitrailleur Gadfrey Loder (coll. M. Martineau)

Lorsque j’avais neuf ans, fin 1944, ma mère aimait me raconter l’histoire de l’aviateur australien Godfrey Loder que mon père Franck Martineau, commissaire de police à Gonesse, avait décroché du château d’eau de la ville voisine de Garges, avec le concours des sapeurs-pompiers de Gonesse. Décroché est le mot juste car les suspentes du parachute de soie blanche s’étaient emberlificotées au sommet de l’édifice, d’où pendait Godfrey. Longtemps je me suis demandé ce qui était vrai, dans cette histoire, et ce qui relevait peut-être de l’imagination de ma mère.

C’était une nuit de fin mai 1942, vers les 3 heures du matin, il faisait froid. L’alerte par sirène avait été déclenchée vers 1 heure30 et levée à 4 heures30. La Police et les pompiers étaient donc en alerte, bien que le bombardement se situât à 10 km de là, au petit Gennevilliers, qui était une zone industrielle, comme Colombes, Argenteuil, Billancourt. Ces zones étant enchâssées dans le tissu urbain, il y avait souvent des victimes civiles.

Un des bombardiers, touché, prit la direction Nord-Est et alla se planter sur la terre agricole de Bonneuil-en-France, à une dizaine de kilomètres de la target, donc à quelques minutes de Garges, et l’un des occupants de l’avion sauta in extremis à moins de cent mètres d’altitude.

Après l’avoir décroché du château d’eau, mon père et les pompiers emmenèrent l’homme à 500 mètres de là pour voir s’il y avait des survivants dans la carlingue, qui n’avait pas pris feu. Chemin faisant, mon père s’enquit de sa nationalité et de son nom : Godfrey Loder, Australien. L’objectif de mon père était d’informer sa famille par une filière Suisse. Ce qu’il fit, d’après ce que me dit plus tard ma mère.

Sur ces entrefaites les Allemands, alertés par le voisinage, arrivèrent. C’était des soldats de la Luftwaffe. Ils embarquèrent Loder, mais ils n’eurent pas le parachute, bien planqué, que les sauveteurs se partagèrent par la suite.

Mon père fut invité plus tard par les pompiers, pour la Sainte-Barbe 1942. Ce fut l’occasion de fêter le sauvetage de l’aviateur australien. Mon père rentra à 2 heures du matin, cette nuit-là, dans un état d’ivresse qui ne lui était pas habituel. Je me souviens qu’il nous avait réveillés pour nous montrer un grand morceau de pain blanc qu’il avait ramené de la fête ! Ce qui en dit long sur notre régime alimentaire quotidien…

Le sauvetage de l’aviateur allié ne pouvait que rester présent à nos mémoires d’enfants, car nous avions eu notre part du tissu du parachute : pour son baptême, en juin 1943, en l’église de Gonesse, ma petite sœur Colette portait une superbe robe de soie blanche tombée du ciel. Et dans un tiroir de commode, il y eut longtemps un grand morceau de soie avec des cordelières.

Le mois suivant, en juillet 1943, mon père le commissaire Martineau était tué par les Communistes.

Quand, à l’âge de la retraite, je me suis mis à faire des recherches sur cet assassinat, ses circonstances et ses auteurs, ce qui devait aboutir à l’écriture d’un livre (Les inconnus de l’Affiche rouge, Ed. Libre label, 2014), j’ai recensé tout le parcours de la courte vie de mon père. Parmi les faits notables, il y avait le sauvetage de Godfrey Loder.

Comment prendre le problème ? Le nom est-il exact, n’est-il pas sorti de l’imagination romantique de ma mère ? C’était une spécialiste de la déformation des noms…

Vers l’an 2000, ma fille Aline s’installa pour 10 ans à Glasgow, en Ecosse. J’ai sollicité son concours pour aller faire des recherches aux archives britanniques de la 2ème Guerre mondiale.

Il s’est avéré que les informations transmises par ma mère n’étaient pas des élucubrations, mais des faits bien exacts.

Voici les éléments complémentaires qui donnent de la structure à un événement qui ne sera plus seulement anecdotique mais qui rejoindra modestement l’Histoire.

Sortons de la légende et entrons dans les archives de la RAAF (Royal Australian Air Force).

Le raid sur Paris-Gennevilliers a eu lieu dans la nuit du 29 au 30 mai 1942. L’objectif était les usines de moteurs Gnome et Rhône.

Le commandement britannique avait mis en œuvre 77 appareils : 31 Wellington, 20 Hallifax,14 Lancaster, 9 Stirlingn, 3 Hampden.

Les Anglais bombardaient la nuit, les Américains le jour. Pour les attaques de nuit, un avion pilote éclairait à basse altitude l’objectif et les autres suivaient.

Le bilan fut faible, pour ce qui est de la destruction de la target, comme d’habitude. Mais 38 maisons furent démolies, 49 endommagées, 38 français furent tués et 167 blessés.

Les gens supportaient l’horreur des bombardements comme « un mal nécessaire pour se débarrasser du Boche ».

La RAF perdit dans la mission 3 Wellington et 1 Hallifax.

Les recherches sur Godfrey Loder nous ont appris qu’il était né à Brisbane, Australie, le 15 décembre 1921 et qu’il s’était engagé le 16 août 1940. Il était sergent aviateur, mitrailleur de queue. Il était membre de l’équipage de 5 hommes du Wellington MkIV ZI 291, squadron 460 RAAF, abattu le 30 Mai 1942 au-dessus de Gennevilliers :

3 sont KIA( killed in action) :

Flgoff Russell, pilote,

Kenneth Mellows, radio,

George Houghton, mitailleur avant,

2 sont POW(prisoner of war) :

Cal Younger, navigateur,

Godfrey Loder, mitrailleur de queue.

Poursuivant nos recherches, nous sommes partis en Australie en 2005, pour tenter de contacter Godfrey, alors âgé de plus de 85 ans.

Nous sommes entrés en contact avec son frère Alan et sa belle-sœur Margot. Margot fut notre principale interlocutrice dans toutes ces démarches.

Elle questionna Godfrey. Mais il ne se souvenait plus très bien des détails de son sauvetage. Il se rappelait qu’il avait été sonné par sa chute trop rapide et pensait qu’il avait accroché la tour Eiffel ! Il avait eu l’impression que ses sauveteurs lui laissaient toute latitude pour s’enfuir dans la nuit d’encre. Mais il loupa l’occasion, et les Allemands arrivèrent.

Ceux-ci le conduisirent au Bourget, où il fut fort bien traité par les gardes. Il fut ensuite transféré à Francfort-sur-le-Main, puis au camp de prisonniers de Sargon, un stalag. Godfrey fera plusieurs stalags : Dantzig, Poméranie… jusqu’à ce qu’en avril 1945, avec des camarades, il s’évada en volant une Mercédès et un pistolet Luger. L’équipe atteignit la Belgique et de là fut renvoyée en Angleterre.

Son camarade Cal Younger avait pu se poser sans encombre et prendre la direction du Sud, mais arrivé près de Melun il fut arrêté par les gendarmes français et remis aux Allemands.

Nous avons laissé là nos recherches.

Mais en avril 2020, j’ai été contacté par un mel de Trudy Loder, par le canal du site de l’association HSCO. C’était la fille de Godfrey, née vers 1950. Elle me demandait des petites précisions, que j’avais données à sa tante Margot.

Je lui répondis en Anglais et lui envoyai mon livre Les inconnus de l’Affiche rouge, où je fais un assez long développement sur la rencontre de Godfrey et de mon père, le commissaire Martineau.

Je me suis documenté sur la RAAF, qui semble passionner les Australiens, et je suis tombé sur le livre d’un historien local dont j’ai fait l’acquisition : RAAF Bombers over Germany 1941 1942, par Anthony Cooper. Il rédige cette épopée avec force détails et témoignages.

Au cours de la lecture de ce livre, j’arrive au paragraphe concernant Godfrey Loder, dont la rédaction est conforme à la relation verbale de ma mère. Mais Franck Matineau est appelé « Faglin », qui était le nom du maire de Gonesse à l’époque ! Je donne ci-dessous la traduction.

Le mitrailleur arrière, le Sergent Godfrey Loder, un jeune homme de 20 ans : il saute, atteint le sol en quelques secondes et est violemment arrêté contre un mur, la corolle du parachute étant accrochée à quelque chose, un château d’eau à Garges, et il y pend au bout de son harnais. Il est coincé et ne peut rien faire qu’attendre les secours. Le maire Monsieur Faglin a le temps de parler avec lui  pendant le sauvetage. Loder donna au maire son adresse et lui demanda d’écrire à ses parents pour lui dire qu’il est sain et sauf. C’est ce que fit Faglin par la suite (Loder gave the mayor his address and ask him to write to his parents and tell them he was safe, Faglin subsquenly did so).

C’est bien conforme à la version de ma mère en 1944, mais Faglin s’appelle Martineau !

Michel Martineau, 11 décembre 2020

Loder et Younger en 1995 – Coll. M. Martineau

Sources :

Le journal local  Tweed Daily du 29.4.1942 : il nous apprend que Godfrey a effectué 28 raids de guerre contre l’Allemagne.

Il y a 3 frères Loder engagés volontaires : Allan, Bill et Godfrey.

La famille réside à Duranbah, en Australie.

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1 réponse à La légende de Godfrey Loder, épisode 2

  1. Giles Loder dit :

    Godfrey was my dad he told me of this as it happened thank you Giles Loder

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