Compte-rendu Rendez-vous de l’Histoire Blois 2016

Par Philippe VERRIER

Résistance – Partir – Château de Blois, Salle Gaston d’Orléans

Rendez-vous de l’Histoire – 6 octobre 2016

(source : carte Blondel la Rougery)

Nous étions trois, Pierre-Alban Thomas (né en 1922), Michel Duru (né en 1926), anciens résistants et Philippe Verrier (né en 1934) témoignant au nom de son père Charles Verrier (1885-1944), interrogés par Cédric Delaunay, professeur d’histoire. (Auteur d’un livre : Mémoires des années noires (1939-1945) Le Loir-et-Cher durant la seconde guerre mondiale. Romorantin, 2011, 128 p. nombreuses illustrations.)

Je citerai brièvement l’essentiel des témoignages de Pierre-Alban Thomas et de Michel Duru. Je rapporterai ce que les questions de Cédric Delaunay m’ont permis de dire. Il a donné la parole à chacun avec beaucoup d’habileté et chacun, je le crois, a pu s’exprimer sur ce qui était essentiel à ses yeux.

Je retiens de Michel Duru qu’il était interne à St-Laurent-sur-Sèvres et qu’il a découvert la Résistance en arrivant à Blois. Il commençait son métier de dessinateur à l’Usine d’Air-Equipements et, à 18 ans, sous l’influence d’anciens, il a choisi de s’engager et participe à des parachutages et à un groupe armé. Après la Libération il signera son engagement pour la durée de la guerre, le 16 septembre 1944, au 4ème Régiment d’Infanterie de l’Air, formé par le colonel de La Vaissière. Cet engagement le conduira à partir sur le front de Lorient où le régiment issu de la Résistance (L’ORA, Organisation de la Résistance de l’Armée, a réussi à fédérer les divers mouvements de Résistance en Loir-et-Cher, d’une manière exceptionnelle dans la France de 1944) est appelé à participer à la Libération complète du pays en isolant la poche de Lorient.

Pierre-Alban Thomas, jeune étudiant instituteur, s’engage chez les FTP (Francs Tireurs Partisans d’obédience communiste). Il est un résistant actif dans le sud du département où il participe aux combats du maquis de Souesme. Il réussit à échapper aux Allemands et quitte le département pour continuer le combat pour la Libération dans le sud du pays. Il revient ensuite et combat avec les maquis Nord Indre. Après la fin de la guerre, sous-lieutenant, il nous dit qu’ayant demandé l’avis du Parti ( Parti Communiste auquel il adhérait à cette époque avec conviction), il reçut la consigne de rester dans l’armée qui comptait peu d’officiers communistes dans ses rangs. Il terminera sa carrière dans l’armée avec le grade de Lieutenant-Colonel. Il a participé douloureusement aux guerres d’Indochine et d’Algérie. Il avait l’impression de vivre ces combats à l’envers de ce qu’il avait combattu contre l’occupant nazi…

Quant à Charles Verrier, né en 1885, il avait donc 59 ans en 1944 et était à cette époque un vieux monsieur.

Charles Verrier

Charles Verrier (source : Philippe Verrier)

Il avait participé à la première guerre mondiale d’août 1914 jusqu’au 14 juillet 1919, défilé de la victoire à Paris, et ensuite à Londres et à Bruxelles. Incorporé comme 1ère classe, il terminait la guerre comme capitaine. Passé de la cavalerie des Chasseurs d’Afrique aux 4ème zouaves, deux blessures, six citations et droit au port personnel de la fourragère de la Légion d’Honneur, le seul officier ayant participé aux six opérations ayant valu les six citations à l’Ordre de l’Armée valant la fourragère rouge au régiment… On l’appelait alors le « verni du régiment ».

En avril 1939, avec difficulté, il réussit à signer son engagement pour la durée de la guerre et part en septembre 1939 à la tête d’une unité de pionniers. Il réussit, grâce à son ancien commandant au 4e zouaves, le général Giraud, à intégrer une unité d’active. Après la drôle de guerre, il participe à l’offensive qui conduit à la frontière des Pays-Bas avant de se replier sur la France, envahie depuis Sedan. Malgré une belle résistance, 15 chars allemands mis hors de combat, faute de munitions, retraite et malgré une évasion, capture. Prisonnier.

Comme plusieurs centaines de milliers de prisonniers anciens combattants de 14-18, il est libéré, et revient à Vendôme en août 1941. Devant le drapeau nazi qui flotte devant son portail, avec une guérite et une sentinelle allemande en face de chez lui, il dit alors à son épouse : « Tu ne m’avais pas dit que je serai encore prisonnier chez moi ! ». Il basculera dans la Résistance le 11 novembre 1942. Il avait appris l’opération Torch qui a libéré son sol natal en Algérie et il a entendu le Maréchal, inciter, à la radio, les soldats français à rejeter les Alliés à la mer ! Je l’ai entendu dire à son épouse : « Ce n’est plus, possible de suivre la Maréchal ! ». Mais il n’y a pas de bureau de recrutement pour entrer en résistance. Après quelques contacts, il signe son engagement comme 2ème classe dans l’ORA. Il ne sera réintégré dans son grade qu’en avril 1944 (nommé commandant en mai 40, en pleine tempête, il ne le saura qu’en 1944.

Il a exercé les fonctions de directeur de la Défense Passive. Cette fonction lui permettra en 1944 d’avoir un laissez-passer de jour comme de nuit pour Vendôme et les environs. C’était pour lui assez pratique pour participer à quelques parachutages. Cela lui permit valu de rencontrer chaque semaine l’officier allemand, commandant de la place de Vendôme, pour régler les alertes. Ceci me valut cette réflexion : « Toi, Verrier, ton père est un collabo, son vélo est très souvent devant la Kommandantur ! » Je ne sus alors que répondre…

Au cours de ces convocations, mon père apprit qu’il avait été dénoncé. La première fois, « Connaissez-vous le commandant Charles ? » (C’était son pseudonyme…) Il répondit que non. Il était anglophobe et avait été, comme beaucoup d’officiers prisonniers, volontaire pour aller se battre en Syrie contre les Anglais. Et tout s’était arrêté là. Une seconde fois, affirmatif et dur, l’Allemand lui dit « Vous êtes le commandant Charles ! ». – « Si j’étais le commandant Charles, je ne serais pas dans votre bureau ce matin. J’aurais mis ma femme et mes enfants à l’abri et je serais dans la maquis ! » L’officier allemand éclata de rire, comme soulagé. « Je n’vais pas pensé à cela ! » L’officier allemand, ancien combattant de 14-18 lui aussi, devait préférer le vieux soldat au dénonciateur dont il finit par donner le nom : le chef de la Milice à Vendôme. J’ai entendu deux fois mon père raconter cette aventure.

Il est ensuite désigné par les chefs militaires de la Résistance du département après que le futur maire de la Libération, radical-socialiste et anticlérical, vint trouver l’officier de droite et catholique pour lui demander, de la part du responsable communiste local de prendre la direction militaire des différentes organisations de Résistance.

La formation du 4e RIA comporte deux bataillons de plus de 500 hommes, l’un à Blois, sous les ordres du commandant Judes et l’autre à Vendôme, sous les ordres du commandant Verrier.

Présentation du 2e bataillon à Vendôme, avant de partir sur le front de Lorient. Charles Verrier a confié le fanion du bataillon au sous-lieutenant Gustave Schneider, ancien combattant, adjudant-chef en retraite, qui ne partira pas en Bretagne. Je pense que le commandant le sait, le sous-lieutenant, lui, ne l’apprendra que quelques instants avant le départ. Il est alcoolique et brutal, lorsqu’il a bu ou qu’il est en manque. On ne peut lui confier de jeunes recrues qui auront à faire avec des Allemands qui ont quatre ou cinq ans de guerre. Les garçons de sa compagnie refusent de partir si Gustave ne part pas. Le capitaine ne pouvant les convaincre appelle son commandant. « Schneider est un bon instructeur, on a besoin de lui pour instruire les recrues qui se présenteront, il reste à Vendôme. Vous, vous avez signé un engagement, vous êtes dans l’armée, vous obéissez et vous prenez vos paquetages et la direction de la gare ! » Cette explication donnée par témoignage d’un homme de la 8e compagnie, aurait permis à ma mère de comprendre que le départ de la gare de Vendôme se soit effectué avec presque une heure de retard…

Le 2e bataillon occupe une position difficile à Nostang. Relevé à l’approche de Noël, il est cantonné à Auray, à la caserne Du Guesclin. Gustave Schneider rejoint, sans ordre de mission, le bataillon le 18 décembre. Convoqué par le colonel de La Vaissière dans le bureau du commandant Verrier, il se présente vers 11h. le 19 décembre.

Caserne Duguesclin à Auray (Source : patrimoine-de-France.com)

L’entretien dont la durée varie selon les témoignages, se termine par trois coups de feu. Le colonel est tué de deux balles et le commandant est blessé mortellement. L’assassin sort du bureau, dit quelques mots de la fenêtre du 1er étage et se fait justice. Il rate le cœur et se fait sauter la cervelle… Un drame terrible. Mourir d’une balle allemande, c’est très triste, mais c’était la règle du temps. Mourir sous des balles françaises semble particulièrement terrible.

Les trois protagonistes sont morts. Quelles sont les vraies causes ? Alcoolique qui n’accepte pas la décision est la version officielle du drame.

Schneider était communiste. A-t-il agi sur ordre ? Personnellement, je ne le crois pas…

A-t-il été exclu du combat parce qu’il était communiste ? Le colonel avait-il des ordres ? On ne le sait pas.

J’ai terminé le récit de ce drame en remerciant ma mère. De retour d’Auray, elle nous a réunis, mon frère Daniel et moi. Jean-Pierre, l’aîné avait été grièvement blessé dans les Vosges où se battait la 1ère Armée française, qu’il avait rejoint en ,passant par l’Espagne… Notre mère nous dit qu’elle avait demandé le matin, à l’aumônier de prier à trois intentions : Je lui ai demandé de prier non pour le colonel et votre père, ils avaient communié tous les deux à la messe de dimanche, le Seigneur s’arrangera, mais pour celui qui est la cause de notre peine. Il a tué deux innocents et s’est suicidé. Ca fait beaucoup et il faut prier pour lui. Je n’ai pas demandé de prier pour nous. Nous sommes dans la peine, mais nous sommes dans l’honneur. Après-demain, il y aura 3.000 personnes à ‘enterrement de votre papa. Il a une femme et des enfants. Ils ne retrouveront le corps qu’après la guerre. Il faut prier pour eux.

Enfin j’ai demandé à l’aumônier de prier pour qu’il n’y ait jamais de place dans le cœur de mes fils pour des sentiments de haine et de vengeance.

En ce qui me concerna, je n’avais que dix ans, la prière de ma mère a été exaucée.

J’ai tenté de résumer ce que j’avais dit… Pour plus de détails, on pourra se reporter à mon livre Charles Verrier au service de la France, édité par l’Association des Amis du Musée de la Résistance, en septembre 2015.

Philippe Verrier,

20 octobre 2016

Pour aller plus loin, l’ouvrage de Philippe Verrier (membre actif de l’HSCO) :

charles-verrier-au-service-de-la-france

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