Le bruit de la machine à écrire : une BD sur l’assassinat de Christa Winsloe et Simone Gentet

Par Gérard Soufflet

Le bruit de la machine à écrire” : une BD magistrale de Hervé Loiselet (scénario) et Benoît Blary (dessin) – éditions STEINKISS

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Février 1944, Christa Winsloe, sculptrice, écrivain et dramaturge mondialement connue dans l’entre-deux-guerres pour Jeunes filles en uniforme, s’installe à Cluny avec sa compagne Simone Gentet.

La ville est traumatisée par une récente vague d’arrestations mais, pour elles, la guerre est à l’autre bout du monde… Elles ouvrent un compte en banque, adoptent un chat, correspondent avec la Kommandantur pour obtenir des papiers, s’enivrent dans les cafés et font du tourisme.

Elles travaillent la nuit et partagent une machine à écrire… Il n’en faudra pas davantage pour qu’on les accuse d’espionnage et qu’on les abatte dans un bois le 10 juin 1944. Au nom de la Résistance.

En 1948, à Chalon-sur-Saône, quatre accusés font face à la justice.

Pourquoi Christa Winsloe et Simone Gentet ont-elles été assassinées ? Les archives sont aujourd’hui accessibles.

Tel est le texte qui apparaît en quatrième de couverture de l’ouvrage.

C’est une bande dessinée, mais les cartons sont précis (pas trop, genre école belge un brin affinée), le montage est bien rythmé, renvoyant sans cesse à ce qui se trouve dans les archives, croisant le temps de l’occupation et celui du procès ; la couleur a une dominante ocre-jaune qui rappelle les photos anciennes mais surtout génère un univers un peu onirique qui laisse toute liberté au lecteur pour digérer l’incroyable, se pénétrer de cette affreuse affaire… Hélas ce n’est pas un noir scénario de polar, mais bel et bien le récit de ce dont est capable le bon peuple de France quand il est en guerre ou qu’il s’y croit : brutal, haineux des autres, ignorant et cruel. L’une était allemande, l’autre française, elles étaient fêtardes et s’aimaient peut-être ; en tout cas, elles n’avaient pas d’homme ;  elles étaient sans crainte et  libres.

La démarche des auteurs est en pleine cohérence avec celle de HSCO et c’est par un vrai travail d’archives (merci les AD71), qu’ils ont su exhumer la vérité sur ce double assassinat de 1944. Mieux qu’un roman ou qu’un film, car les auteurs n’ont pas besoin de broder pour mener leur récit, la BD grâce à ces ellipses serait-elle le vrai outil complémentaire de l’écriture pour rendre accessibles les faits tels qu’ils furent ?

Des annexes reproduisent les principaux documents et donnent la parole à d’autres chercheurs qui travaillent sur cette affaire.

Un point à noter : pas de communistes ou de méchants FTP à l’horizon ; on est à Cluny, la capitale de la résistance gaulliste de Saône-et-Loire ; les chefs qui allaient couvrir les tueurs (ou du moins jurer qu’ils n’en savaient rien) se nommaient Georges-Marie-Joseph-Gérard Thibault de La Carte de La Ferté-Sénectère, chef des FFI pour la Saône-et-Loire sous le pseudo de “Férent”, et aussi Laurent Bazot, ex-pilote de chasse, chef des maquis AS du Clunisois, et encore Albert Browne-Bartroli, dit “commandant Tiburce”, chef de réseau du SOE britannique. Et puis Cluny est la ville de Danielle Gouze, la petite infirmière des maquis, dont la maison familiale hébergea Henri Frenay, Berty Albrecht et un certain François Mitterrand…

 

Note : Jeunes filles en uniforme a été adapté en 1958 par Geza Radvanyi, avec  Lilli Palmer et Romy Schneider

Pour commander le livre : https://www.editions-steinkis.com/single-post/2018/04/19/Le-bruit-de-la-machine-%C3%A0-%C3%A9crire

 

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2 réponses à Le bruit de la machine à écrire : une BD sur l’assassinat de Christa Winsloe et Simone Gentet

  1. Un excellent sujet et surtout un bon format pour en parler pour lequel je prévois moi-même un projet depuis 2 ans pour l’histoire des femmes allemandes fusillées ddans la Vienne en sept 1944..J’ai acheté cette BD à Montréal et la lecture est instructive..

  2. Xavier Laroudie dit :

    C’est une véritable enquête historique qui commence aux archives pour finir aux archives. On est loin du genre “roman historique” que pourrait en effet laisser supposer le genre BD. Un sujet de fiction qui serait saupoudré d’un contexte “historisé”. Non ! Des documents d’archive ont même astucieusement été inclus au dessin. Un solide dossier historique conclut la BD comme le signale notre ami Gérard Soufflet. Je reste bluffé par cette façon de présenter une enquête historique -comme l’exécution de ces deux malheureuses- en rendant possible qu’il soit fait état de l’incontestable qualité de l’enquête qui reste l’ossature de cette BD. Cette BD, par le sérieux des recherches, me semble ouvrir un genre nouveau où le ressenti et l’émotion, sans être absents, laissent la priorité à l’établissement des faits.

    Par ailleurs, j’ai une petite pensée pour Fabrice Virgili qui expliquait dernièrement sur France Culture – sans me convaincre au demeurant- que “l’épuration sauvage n’existait pas car chacune des exécutions répondait à une demande populaire spécifique”…

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