Activité de la Gendarmerie départementale de Seine-et-Oise pour 1943

Par Michel Martineau

Les archives restent la source essentielle pour écrire l’histoire de la Seconde guerre mondiale, de l’Occupation, comme celle de toute autre période d’ailleurs.

L’une des précieuses sources est présentée par M. Martineau dans l’article suivant. Il s’agit d’une rapide synthèse basée sur les procès-verbaux de gendarmerie de 1943 qui, au-delà des faits relevés, apportent un éclairage passionnant sur la période qui nous est chère. Michel Martineau a consulté une copie des procès-verbaux de gendarmerie de Seine-et-Oise aux Archives nationales, mais il est utile de signaler que chaque service d’Archives départementales conserve également dans les versements d’archives de la Préfecture (en série W) une collection de PV de gendarmerie, notamment pour la période de guerre. 

Les copies des rapports de gendarmerie consultés sont ceux conservées par département aux Archives Nationales de Pierrefitte (93) et concernent l’année 1943, une année importante car c’est celle qui a vu le début de l’action armée.

Carte Editions Géographiques A. Lescot.

 

L’objet de notre recherche concerne la Seine-et-Oise, cet ancien département qui enserrait Paris et le département de la Seine. La Seine-et-Oise a donné naissance en 1966 aux nouveaux départements : les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis, les Yvelines, le Val-de-Marne, le Val-d’Oise et l’Essonne. Le département de la Seine a aussi contribué à la formation de certains de ces départements.

Les relations de Sécurité publique et de Police judiciaire étaient complexes entre la Seine, fief de la Préfecture de Police, et la Seine-et-Oise, gérée par la Police nationale et la Gendarmerie. La Seine-et-Oise et la Seine-et-Marne avaient un intendant de Police commun. La cohabitation avec les divers niveaux de la puissance occupante ajoutait encore des difficultés supplémentaires. Le moindre rapport de police et de gendarmerie faisait l’objet d’une multitude de copies.

En Seine-et-Oise la Police d’état, devenue en 1942 Police nationale, avec ses 5 districts, gérait les zones les plus urbanisées et donc les plus peuplées, ce qu’on a appelé la « Ceinture rouge ». La Gendarmerie, elle, avait la main sur un territoire encore fortement agricole, très sollicité par le Marché noir.

Quand on connaît l’histoire de la résistance armée en Région parisienne, on constate, dès 1942,  une activité effective mais militairement peu efficace des FTP de la MOI. Les choses évoluent fortement à partir de Juin 1943.

Les réfractaires au STO vont alors fournir des combattants qui pourront accroître le nombre et la qualité des cibles. L’arrivée de ces gens qu’il faut loger et nourrir va ipso facto augmenter les actes de banditisme vers les mairies, les banques, postes, bureaux de tabac, tout ce qui permet de financer la clandestinité. Les Allemands ne sont pas les seules cibles des agressions. S’y ajoutent les collaborateurs notoires présumés, mais aussi les policiers de Vichy. Trois commissaires sont abattus de juin à novembre. En 1943, devant l’ampleur de ces actions, la PP et la 1ère BMPS engagent une lutte féroce, qui verra l’éradication de la résistance armée communiste en janvier 1944, et pour de longues semaines…

Les archives de « la Blanche »[1] nous donnent l’éclairage campagnard de la proche Région parisienne pour l’année 1943. Il y a 500 PV au minimum. Très approximativement 75 % concernent le second semestre de cette année 1943. Le destinataire final en est le général Martin, directeur général de la Gendarmerie nationale, qui rend lui-même compte à l ‘ambassadeur de France dans les territoires occupés (sic), au préfet délégué du ministère de l’Intérieur à Paris, au préfet délégué du Secrétaire général pour la Police en zone occupée. Le style des documents est clair, et la nécessité d’économiser le papier réduit le format en général à un demi 21/27 de l’époque. Le formalisme est celui d’avant-guerre, qui perdure encore de nos jours. Les tampons officiels restent les mêmes. Les événements, souvent mineurs, relatés par les PV de gendarmerie, se retrouvent dans la Presse à la botte de l’Occupant (Petit Parisien et Paris Soir), mais édulcorés. Ou alors ils sont carrément passés sous silence quand l’information est défavorable aux occupants (par exemple : deux avions de chasse Messerschmitt qui se percutent à l’entraînement !).

La Gendarmerie de Seine-et-Oise est fortement sollicitée par les nombreux déraillements qui sont provoqués sur son territoire, territoire qui voit passer, compte-tenu de la centralisation stratégique parisienne, toutes les lignes essentielles pour les Allemands, notamment celles qui desservent l’Est et la Normandie. Les équipes de dérailleurs viennent de Paris et de banlieue et n’hésitent pas à s’éloigner pour agir. Les gendarmes notent dans un PV leur professionnalisme, choix du site, courbe au-delà d’une ligne droite, détention de clés spéciales, pose de fil électrique pour maintenir le contact …

Les attaques de mairies sont nombreuses et de plus en plus fréquentes, et nécessitent souvent la présence des gendarmes par souci de sécurité pour le personnel municipal et pour les titres de rationnement. Là aussi les commandos proviennent souvent de la capitale. Les gens du Milieu y font concurrence aux FTP. A titre anecdotique, la mairie de Brunoy (aujourd’hui dans l’Essonne) avait fait doter ses appariteurs de mousquetons prêtés par les gendarmes.

Un PV relate, le 24 août au km 22 de la nationale 2, l’attaque d’une voiture allemande par un groupe de 6 FTP. Il s’en suivra un combat dans les marais de Goussainville. Les gendarmes seront renforcés par des Allemands de la Luftwaffe  du Bourget et des policiers de Tremblay-lès-Gonesse. Trois jeunes FTP seront pris et mis à la disposition des forces d’occupation. Le groupe de FTP aux ordres de Roland Vachette venait de faire la tournée des mairies proches de Chantilly, mais sans succès.

Un événement tragique surviendra le 27 septembre à la mairie de Bèthemont, proche de Montmorency. A 8 heures du matin, deux hommes tentent de s’emparer des titres de rationnement. Ils se trouvent nez à nez avec deux gendarmes. L’un des deux agresseurs parvient à s’enfuir, mais le second est tué d’une balle dans la tête. Il s’agissait du FTP André Chefd’homme .

Par ailleurs les gendarmes ont aussi à connaître des incendies de récoltes, fourrages et locaux agricoles. Quelques personnes sont mises à l’amende, notamment des trafiquants présumés du Marché noir. Assez fréquemment, la Gendarmerie de Seine-et-Oise fait état d’accidents relatifs à des avions allemands. La multiplicité des terrains importants explique cela. La neutralité excessive des commentaires est quasi-jubilatoire !

De nombreux avions alliés sont abattus et des duels aériens n’ont que les gendarmes comme spectateurs. La recherche des aviateurs abattus fait partie des missions.

L’information des Français se fait par la radio de Londres, radio Sottens et radio Andorre . A cela s’ajoute l’envoi de tracts par des avions qui arrosent les zones urbanisées comme la Région parisienne. Ceci complète la presse collaborationniste totalement asservie par la Propagandastaffel, qui décide de tout : choix de page, lignage, grosseur de la typographie….

 

Les quelques tracts conservés à l’appui des PV d’envoi sont au format 21/27, de couleurs noires et rouges, et surfent sur l’actualité. Tout d’abord une présentation réaliste du front russe avec des photos très crues. Parmi les documents il faut retenir les «Conseils aux Français », qui ont pour but de les aider à se prémunir des dangers liés au futur débarquement et aux risques liés aux bombardements aériens.

 

 

On retrouve bien dans ces documents des préoccupations essentielles de Français -mais pas les seules- : le ravitaillement, le danger aérien aveugle et le besoin d’information, d’autant plus pressant que se renforce la conviction d’un débarquement proche. Dans cette attente de plus en plus exaspérée par la présence germanique, sont en germe les débordements de tous ordres de l’année 1944.

Sources :

AN de Pierreffite : dossier des rapports des brigades par département, pour l’année 1943

 

[1] « La Blanche », c’est la Gendarmerie territoriale (galons argent), par opposition à « La Jaune », qui est la Gendarmerie mobile. Leurs archives sont à Le Blanc (Indre).

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

5 réponses à Activité de la Gendarmerie départementale de Seine-et-Oise pour 1943

  1. Pirondeau dit :

    Synthétique, très intéressant… mais actuellement toutes les archives sont difficiles à consulter…

  2. Xavier Laroudie dit :

    Passionnant merci Michel.
    Sais-tu quelque chose sur les conditions de consultation de ces archives aujourd’hui ?
    A bientôt.
    Merci.

    Xavier Laroudie.

  3. Gérard Soufflet dit :

    Hors celles des AD, moi j’ai surtout travaillé sur les archives de Gendarmerie du SHD, à Vincennes… C’est comparable avec celles des AN de Pierrefitte ? Lesquelles seraient les plus complètes ? (ou bien est-il judicieux d’aller aux unes et aux autres ??

    • HscoFrance dit :

      Réponse de Jean-Michel ADENOT : Pas facile de répondre à cette question …
      Les « bons cartons » sont d’abord ceux qui renferment les réponses à nos questions, donc pas facile de dire ce qu’il faut préconiser.
      A mon avis il y a encore d’autres dépôts d’archives à investiguer, dont Le Blanc, avec les jugements de justice militaire, mais aussi certains fonds de la gendarmerie. On peut ajouter Fontainebleau mais je n’ai pas spontanément la définition générale des inventaires de chacun de ces centres. Enfin, les PV réalisés dans les brigades sont souvent aux dossiers d’enquêtes des différentes juridictions.
      Peut-être faut-il retenir que les AD sont souvent riches des dossiers d’investigations méticuleusement réalisés par la Sûreté, les RG, le SRPJ. Mais nous sortons ici du terrain de la gendarmerie pour aborder celui de la police.
      Bref, il y a du grain à moudre et du pain sur la planche afin d’apporter de l’eau au moulin des enquêteurs !

  4. Lefresne dit :

    Les AD (celles du Loir-et-Cher en tous cas) contiennent les PV de gendarmeries (ainsi que les rapports journaliers, hebdomadaires, mensuels, ect… des polices) depuis pratiquement les débuts de l’occupation. La volonté maintes fois et rudement affirmée des Allemands et le souci pointilleux de contrôle de Vichy stimulent le zèle des brigades (et celui des policiers…) : on peut désormais établir une chronologie convenable des actes résistants publics et des parachutages de tracts depuis 1940…

Répondre à Xavier Laroudie Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.